Désespérant … c’est exactement ce que pense Germain, professeur de Lettres au lycée, du niveau de ses élèves. Copie après copie, zéro après zéro, cet homme se demande pourquoi il se retrouve aujourd’hui prisonnier de cette situation si ennuyeuse, lui, l’amoureux de littérature, de belles histoires, le rêveur de fantaisies, d’aventures et d’évasion. Mais au fil de la correction, il découvre une copie assez intrigante. Elle est développée, miraculeusement sans faute, bien écrite même, et a déjà un certain style propre. C’est celle d’un élève nommé Claude, un élève discret, pas très bavard, qui s’assied toujours au fond de la classe, au dernier rang, de là où personne ne nous voit et d’où l’on peut observer tout le monde. Le principal objet observé et dépeint dans la copie de Claude est la famille d’un de ses camarades, Raphaël Artole. Et cette rédaction qui a tant attiré l’attention de Germain n’est que le début d’un long jeu littéraire entre l’élève et le professeur, puisqu’elle se termine par un mystérieux « A suivre. »…

 

 

Juan Mayorga instaure ce jeu entre Claude et Germain dans Le garçon du dernier rang (El Chico de la última fila pour la version originale en espagnol), œuvre théâtrale publiée en 2000 et traduite en français en 2009. Cette pièce, courte mais extrêmement intense, a inspiré le réalisateur François Ozon qui en a fait une adaptation cinématographique en 2012, Dans la maison.

 

 

Car c’est bien de cette maison, celle de la famille Artole, et de ce qu’elle renferme comme secrets dont il est question dans les rédactions du jeune Claude. Jeanne, la femme de Germain, met son mari en garde contre la tournure que prennent les devoirs de l’élève : ce dernier s’introduit tous les jours dans la maison de son camarade en prétextant l’aider en mathématiques, car il veut pouvoir observer cette maison et cette famille pendant des heures pour en faire la matière première de ses écrits. Jusqu’où peuvent aller un adolescent mystérieux, voyeur et avide d’écriture et son professeur de littérature, pleinement complice des faits de son élève, pour produire une œuvre qui les lie de manière intrinsèque ? L’œuvre de Juan Mayorga nous offre une double mise en abîme au fil de la pièce, puisque l’histoire nous est contée par l’auteur espagnol mais aussi à travers les yeux de Claude dans ses copies. L’élève est à la fois personnage de l’œuvre de Mayorga et auteur des rédactions qu’il remet régulièrement à son professeur, ce qui en fait un élément complexe, presque invisible et pourtant central, qui a un double jeu à tenir dans cette pièce. C’est un personnage d’une force incroyable qu’a réussi à imaginer Mayorga, qui en renforce les traits par les relations qu’il lui fait tisser avec les autres personnages de la pièce en utilisant, pour sublimer l’histoire riche et subtile, un style fluide et prenant qui nous hypnotise et nous absorbe entièrement dans ce récit dangereux et passionné.

 

 

 

Vous vous demandez, vous aussi, ce que le garçon du dernier rang peut bien observer depuis sa place au fond de la salle ? Ce qui le captive tant dans la maison de la famille Artole ? Jusqu’où compromettra-t-il son professeur à travers les textes qu’il lui rend ? Entrez dans cette aventure littéraire : « Le week-end dernier, par Claude Garcia. Le samedi, je suis allé étudier chez Raphaël Artole. L’idée est venue de moi, parce que cela faisait un moment que je voulais entrer dans cette maison. […] Je résolus son problème de trigonométrie. Il va avoir besoin de beaucoup d’aide pour s’en sortir en mathématiques cette année. A suivre. »