« Je ne sentais rien ; cependant, je tremblais de faire un pas, j’avais peur de me heurter contre les murs de ma tombe. La sueur jaillissait de tous mes pores et s’arrêtait en grosses gouttes froides sur mon front. L’agonie de l’incertitude devint à la longue intolérable. » –Le puits et le pendule

 

Peut-être aurez-vous reconnu ce style mêlant description détaillée, soupçon de poésie et ton morbide : nous retrouvons Edgar Allan Poe ! Il s’agira ici du recueil Nouvelles histoires extraordinaires et nous en profiterons pour analyser des éléments plus profonds, plus en détail que dans la précédente critique (du recueil Histoires Extraordinaires où il fallait d’abord se familiariser avec le style de l’auteur, et sa maîtrise des nouvelles).

 

 

Horreur, malh…BONHEUR !

L’un des aspects marquants de ce recueil est sans conteste sa part d’horreur. Dans le premier recueil les nouvelles nous confrontaient à des évènements extraordinaires, qui, sans le contexte, pourraient paraître surnaturels et effrayants. Ici, l’horreur est volontaire et Poe nous place même du côté du malfaiteur. Est-ce alors un vrai sentiment d’horreur que l’on ressent ou se délecte-t-on d’un plaisir sadique ? Je vous laisserai éclaircir cela en votre âme et conscience. Soulignons seulement que la lecture de la savante vengeance orchestrée par Montrésors à l’encontre de Fortunato s’appuie sur la vraisemblance, comme dans le premier recueil, et recèle un génie de machiavélisme dans le déroulement du plan. La barrique d’amontillado s’inscrit donc comme un récit, certes inquiétant, mais qui transmet surtout le goût d’une réjouissante histoire macabre.

 

Pour redonner un exemple de l’importance de la vraisemblance et du talent narratif de Poe prenons la nouvelle Hop-frog. La nouvelle revisite le déroulé du Bal des ardents, évènement tragique où le roi Charles VI et cinq de ses amis souhaitèrent égayer le bal en se déguisant en singes sauvages. Le tragique survint quand leur costume prit feu, n’épargnant que Charles VI et un autre danseur. Poe réussit à dépasser le caractère déjà surprenant de ce fait divers et y ajoute une dimension funèbre tout en conservant la vraisemblance de l’histoire, aspect qui lui est cher. Mais soyons francs, chaque atrocité qui est décrite est un plaisir à lire, et se transforme même en fascination grâce au style poétique de l’auteur.

 

Maître Poe, sur son arbre perché.

Et prenons du temps pour nous concentrer sur une autre nouvelle de grande renommée : le Corbeau. Elle contient tous les éléments dont nous avons relevé la présence au cours de ces deux articles : un soin tout particulier apporté à la composition, la vraisemblance, une écriture poétique et une ambiance profondément mélancolique. Pour vous donner le contexte sans aucun spoil : notre narrateur est le personnage principal, seul chez lui, effondré de tristesse suite à la mort de sa femme. Il entend un jour frapper à sa porte, il s’agit d’un corbeau. Notre personnage parlera à haute-voix au corbeau et celui-ci lui répondra « Jamais plus » (Nevermore), seule et unique réponse qu’il aura à chaque fois qu’il s’adressera au sombre volatile.

L’un des points centraux de cette nouvelle est l’ambiance qui s’y installe rapidement, colorée de tristesse et des lamentations de notre protagoniste. Notre triste héros se meurtrit lui-même par les questions qu’il adresse au corbeau. L’effet de répétition donne toute sa force à cette nouvelle, et le quasi-monologue auquel on assiste se révèle profond et déchirant de souffrance pour l’amoureux en plein désespoir. Le « Jamais plus » (Nevermore) sonne alors comme une sentence implacable.

 

Tension et chute exceptionnelle.

​Il faut aussi accorder quelques lignes au Cœur Révélateur. Tout le brio des compositions de Poe y est illustré, et ce, dès les premières lignes : « Vrai ! – je suis très nerveux, épouvantablement nerveux, – je l’ai toujours été ; mais pourquoi prétendez-vous que je suis fou ? […] J’aimais le vieux bonhomme. Il ne m’avait jamais rien fait de mal. Il ne m’avait jamais insulté. De son or je n’avais aucune envie. Je crois que c’était son œil ! Oui, c’était cela ! Un de ses yeux ressemblait à celui d’un vautour – un œil bleu pâle, avec une taie dessus ». Poe pose l’élément central de l’histoire et en peu de mots, nous permet de nous transmettre une image très nette de la personnalité du narrateur. Par la suite, notre auteur développe l’histoire en ne faisant jamais redescendre la tension qu’il y crée, faisant apparaître de plus en plus clairement toute l’obsession du personnage principal pour cet œil.

Cette nouvelle ne comporte que 8 pages au format de poche et brille par la rapidité de la mise en place de l’ambiance, la tension qui croît tout au fil de la lecture et par l’intensité de sa chute. La réussite de cette chute repose en grande partie sur la composition de l’histoire et bénéfice aussi de la description des sentiments, des pensées et de toute l’inquiétude qui envahit le personnage, jusqu’à son expression finale, qui explose.

 

 

 Et parmi toutes ces atrocités, Poe a également su écrire des nouvelles qui détonnent par la présence d’un humour avec des traits d’absurde. Lionnerie caricature la forme d’une fable absurde et en donne le ton dès ses premières lignes « La première action de ma vie fut d’empoigner mon nez à deux mains. Ma mère vit cela et m’appela un génie ; – mon père pleura de joie et me fit cadeau d’un traité de nosologie. Je le possédais à fond avant de porter des culottes ».

Mais filez lire Les Nouvelles histoires extraordinaires ou au moins les œuvres évoquées dans cet article. Et après cela, du talent d’Edgar Allan Poe vous ne douterez Jamais plus.