« Pour fabriquer le plus mortel des poisons, on enferme plusieurs espèces venimeuses dans une jarre, évidemment elles s’entre-tuent, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une dans laquelle tous les poisons sont concentrés. Seule la vermine la plus mortelle survit. »

 

Hunger Games, Battle Royale, ou même le jeu du Loup-Garou, ces histoires où des concurrents participent à un jeu, souvent mortel, et doivent éliminer les autres joueurs, on appelle cela des battles royales. En quelques années une mode s’est créée autour de ce genre dans les mangas, mais tous ne sont pas une réussite, prenons donc le temps de découvrir l’un des meilleurs de ces récentes sorties : Darwin’s Game.

 

Imaginez-vous sur votre téléphone portable, vous recevez le message d’un ami qui vous invite à vous inscrire à un jeu, vous cliquez et vous vous retrouvez doté d’un pouvoir extraordinaire ! Plutôt cool, mais en apparence seulement car vous pouvez maintenant être défié à tout moment par un autre joueur pour un combat dans le monde réel, combat qui peut être mortel. Se rendant compte de l’horreur du jeu, notre héros, Kaname Sudo, fera tout pour y mettre fin.

 

 

La maîtrise des bases du genre :

 

Tout d’abord il faut savoir que l’intérêt du battle royale repose souvent sur sa capacité à éveiller notre curiosité. Comme dans Doubt (et ses dérivés : Judge  et Secret) King’s Game, Hunt, Friend’s Game et la plupart du genre, on se pose trois grandes questions : pour quelle raison les personnages sont-ils dans ce jeu ? Qui en tire les ficelles ? Et bien sûr : qui va survivre ou gagner le jeu ? Certaines œuvres, comme le film Battle Royale ou Hunger Games répondent dès le début aux deux premières et laissent leur intérêt reposer sur l’autre, mais si la dernière question seule suffit à accrocher le spectateur c’est alors la preuve d’une maîtrise du genre battle royale.

 

On y retrouve aussi souvent des personnages caricaturaux et Darwin’s Game reprend ces codes. On a donc droit aux classiques : un geek doué en mathématiques et informatique, un personnage qui mise sur la force brute, un autre combattant expérimenté et doté de sang-froid, une héroïne forte et bien sûr un protagoniste qui ne s’est jamais battu de sa vie mais qui sait être malin. Même si les personnages sont quelque peu stéréotypés, l’intérêt est souvent d’observer leurs stratégies de survie, leurs réactions et l’évolution que prend cette cohabitation forcée où ne règne plus que la loi du plus fort. Et même si Darwin’s Game sait nous tenir en haleine, sa réussite à nous impliquer dans son monde repose sur d’autres qualités.

 

 

Des personnages attachants.

 

Notre héros, Kaname Sudo, se démarque du héros shonen classique qui agit sans réfléchir et ne jure que par la puissance de l’amitié et de la volonté. Lui est calme, fait preuve de logique et montre son attachement à l’amitié davantage par des actes que par des discours ou des scènes mélodramatiques. Mais il s’agit aussi d’un manga d’action et même si Kaname ne cherche pas à impressionner les autres personnages les résolutions de ses aventures sont bien souvent spectaculaires. De plus, on apprécie qu’il ait l’intelligence de passer du temps à s’entraîner pour devenir un combattant expérimenté et pouvoir sérieusement faire face aux différents obstacles qu’il rencontrera. Cela paraît évident présenté ainsi mais tous les battles royales ne permettent pas des temps d’entrainement et la faiblesse physique du héros est parfois mise à profit pour régler trop facilement des conflits (Killer Instinct).

 

 Beaucoup de battles royal incluent des personnages assoiffés de sang ou aimant particulièrement la violence, qui sont donc des ennemis évidents. Mais il est aussi coutume d’intégrer des personnages innocents qui deviennent de plus en plus violents au fil du jeu, jusqu’à devenir des meurtriers. C’est un déroulement classique pour illustrer la malfaisance du jeu et montrer que n’importe qui peut agir contre la morale, dans un contexte d’horreurs. Darwin’s Game utilise ce code mais montre encore plus souvent l’évolution de personnages banals en antagonistes plus ou moins transformés par le jeu. Le manga prend également le temps de faire découvrir ces personnages, que ce soit par des flash-backs ou en faisant suivre leur point de vue pendant quelques chapitres. Cela n’assure pas que l’on aura de l’estime pour eux mais cela offre davantage de nuances et le sous-texte du manga s’en trouve enrichi.

 

 

Le scénario, ou comment bien construire un mystère.

Darwin’s  Game dispose également d’autres atouts : son univers et son scénario. Il prend le temps d’étoffer le monde dans lequel il nous plonge. Notre héros souhaite mettre fin au jeu mais d’autres personnages ont des objectifs différents et se révèlent tout aussi importants. Une partie des joueurs se contente de profiter de leur pouvoir, plus ou moins habilement mais toujours avec cruauté, certains joueurs confirmés s’en tiennent à la neutralité et une poignée de joueurs suffisamment puissants ou manipulateurs pour s’être faits une place dans le jeu veulent conserver leur influence. Au milieu de ces horreurs on retrouve aussi la police, tentant à sa façon de combattre le jeu ainsi que d’autres personnages qui semblent tirer les ficelles tout en cachant leurs objectifs.

 La rencontre de ces différentes forces permet au scénario de paraître cohérent et apporte du poids au mystère qui unit tous ces personnages : le jeu lui-même. Autant que les personnages, le lecteur voudra connaître les secrets du Darwin’s Game, son but, la raison de sa création… Pour autant, ce qu’on apprend laisse toujours derrière soi de nouvelles questions. Loin d’être lassant, c’est habilement effectué et incite le lecteur à faire ses propres hypothèses quant aux secrets qui se cachent derrière ce jeu aussi énigmatique que malfaisant.

 

 

Darwin’s Game surpasse donc à bien des égards la plupart des mangas battles royales, même s’il n’a pas la violence d’un Killer Instinct, s’il n’est pas aussi cruel que Doubt ou Dilemma, son histoire est mieux maîtrisée que des Friend’s Game, Hunt ou Kingdom’s Game, son univers est plus riche et paraît plus mature. Il réunit tous les ingrédients clés du genre, en ajoutant son scénario bien ficelé et sa maîtrise de l’action, on peut le considérer comme le plus méritant de cette récente hype du battle royale.