Beaucoup connaissent ce sentiment bien naturel d’entrer dans une librairie avec à la fois l’intention de ne rien acheter et le sentiment d’avoir fait une grosse erreur ; quelques dizaines de minutes plus tard, le sujet ressort de la boutique avec un nouvel ouvrage à dévorer et l’impression de s’être retenu d’acheter le magasin et le vendeur avec. C’est ce qui m’est arrivé avec Royaume de Vent et de Colères, épique roman qui m’a entraînée dans le feu des guerres de religion et de la conquête de son propre royaume par ce bon vieux Henri de Navarre, se situant dans mes propres références littéraires comme une suite spirituelle à La Reine Margot de Dumas père.

 

Quelle est la vocation du roman historique ? Est-elle de nous plonger une ambiance passée que nous n’avons de toute façon jamais connue, nous laissant dans l’impossibilité d’en vérifier le caractère vraisemblable ? De donner un sens à un passé qui est bien trop vaste pour que nous en saisissions la totalité, en attirant notre attention sur une intrigue spécifique inventée de toutes pièces ? Ou bien est-elle d’imaginer un autre passé possible et, par là même, un autre présent ? A quoi bon au fond appliquer nos valeurs actuelles sur une époque révolue ?

 

Dans son roman, Jean-Laurent Del Soccoro explore ces question en mélangeant avec subtilité éléments historiques précis et touches de fantasy. La magie n’est pas ici un élément grandiose voué à changer le cours de l’histoire : la magie est minable, elle appauvrit les esprits et n’est maîtrisée que par une poignée d’initiés davantage voués à être manipulés pour leurs capacités que par une guilde de puissants magiciens.

 

Le roman réunit cinq narrateurs qui chacun à leur tour racontent leur histoire. Il s’agit d’un mélange de présent et de passé par rapport à l’an 1596 où commence et finit la narration, dans la République de Marseille, plus connue comme dictature de Charles de Casaulx, personnage historique dont le destin est tracé par le roman, sur le point de chuter devant Henri IV. A la défaite historique s’ajoutent une série de drames personnels qui s’entremêlent sans parfois même que les narrateurs en aient conscience. Autour de la « Roue de la Fortune », auberge tenue par une ancienne mercenaire, les histoires se nouent et se dénouent.

 

 Marseille en 1675

 

Un autre point remarquable est la diversité des personnages représentés, aidée par le choix d’une narration éclatée. On trouve dans ce roman des personnages vieux, des personnages jeunes, des hommes, des femmes, un couple homosexuel, des célibataires, un chevalier, des roturiers, des combattants, des assassins, des courageux, des prudents. Invraisemblances historiques ? Non, adaptation (dans la mesure où l’existence de cailloux magiques était assez peu crédible).

 

J’ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce roman, qui est un excellent divertissement qui m’a par ailleurs appris une foule de détails intéressants sur le bref épisode républicain de la ville de Marseille. On y retrouve des personnages vivants et intéressants, placés dans un contexte dans lequel ils semblent vains malgré leurs efforts. Je pourrais reprocher au roman sa fin, assez abrupte, qui aurait peut-être à mon avis mérité d’être plus ouverte. On ressortira toutefois ému de cette lecture, avec dans les yeux les derniers rayons de soleil sur le port de Marseille, le 17 février 1596…

 

 Joseph Vernet, Intérieur du port de Marseille, 1754, huile sur toile, Musée National de la Marine

 

Jean-Laurent Del Soccoro, Royaume de Vent et de Colères, Editions ActuSF, 2015

 

Couverture : Gaetano Previati, Morte di Paolo e Francesca, circa 1887, Academia Carrara, huile sur toile