« Je ne veux pas devenir un homme… jamais, dit-il avec passion. Je veux rester pour toujours un petit garçon et m’amuser. Alors, je me suis sauvé à Kensington Gardens et j’ai vécu avec les fées. »

 

« Peter Pan », tout le monde a déjà entendu ce nom. De nombreuses fois adapté, au cinéma, à la télévision, ainsi qu’au théâtre, on a tous un Peter Pan en tête. Cette œuvre de Sir James Matthew Barrie a d’abord été une pièce de théâtre, qu’il a ensuite remaniée sous la forme d’un roman paru en 1911. Nous connaissons généralement Peter parce qu’il ne vieillit pas, qu’il aime s’amuser en vivant toutes sortes d’aventures et qu’il affronte le Capitaine Crochet et ses pirates en étant accompagnés des enfants perdus. 

 

C’est une erreur. Chers amis, l’intérêt de ce roman n’est pas dans son scénario, ni dans les aventures racontées. Voyez un peu : le narrateur reconnait que l’on aurait pu avoir un chapitre sur « l’histoire du ravin, celle du gâteau ou celle de la feuille flottante », et nous n’aurions pas eu celle du lagon des sirènes. Il faut comprendre que le cœur du récit de Peter Pan est dans la création du Pays Imaginaire et du personnage de Peter Pan. Le reste n’est qu’un exemple, qu’un fragment, une simple description de quelques aventures parmi des milliers d’autres. Pour réellement découvrir la richesse du roman Peter Pan, il nous faut nous attarder un moment sur son personnage principal, Peter lui-même !

 

 

La deuxième étoile à droite et tout droit jusqu’à l’horreur !

 

La première chose à savoir est que Peter Pan tue. Ce n’est pas un élément spécialement mis en avant mais en ayant cette première information vous pourrez vous détacher de la version que vous en a offerte Disney ou d’autres adaptations. Voici un gentil dialogue entre John et Peter au sujet de pirates :

-Vous ne pensez tout de même pas que je le tuerais pendant qu’il dort ? Je commence par le réveiller et, ensuite, je le tue. Je ne m’y prends jamais autrement.

-Eh ben… ! Tu en tues beaucoup ?

-Des masses.

 

Mais n’ayez crainte, Peter ne réserve pas sa cruauté qu’à ses ennemis, il sait aussi la distribuer à ses compagnons aka les enfants perdus. Pour vous expliquer : la cachette de Peter Pan n’est accessible qu’en passant par des arbres creux, comme des toboggans. Toutefois, pour éviter que n’importe qui puisse passer par ces arbres, ils sont choisis « sur-mesure », ainsi il existe plusieurs passages vers sa cachette mais un passage ne peut être emprunté que par une personne précise, empêchant tout intrus. Néanmoins, si Peter est malin d’avoir trouvé un tel stratagème, il ne laisse pas la compassion contrarier ses plans et se montre d’un pragmatisme terrifiant : « [pour correspondre parfaitement à votre tronc] il suffit d’accroître ou de réduire l’épaisseur de ses vêtements ; mais si le seul arbre disponible est tordu alors Peter effectue sur vous les modifications qui s’imposent »

 

 

 

Peter, seul au monde, ou comment une hirondelle ne fait pas le printemps.

 

Voici qui décrivait les liens de notre brave enfant avec ses compagnons et ses ennemis, mais il reste une subtilité à aborder dans l’aspect sociable pour comprendre Peter. L’aspect le plus impressionnant dans la façon qu’à Peter d’interagir avec les autres est justement le fait qu’il ne se soucie pas d’eux. Ce fait se trahit pour la première fois lorsque Peter vole avec Wendy, John et Michael pour rejoindre le Pays Imaginaire. Peter est en tête, et s’éloigne de temps en temps et « parfois, à son retour, il ne se souvenait plus d‘eux ou, du moins, d’une façon très vague ». Le fait que Peter ne vieillisse jamais, et qu’il ait donc vécu sans doute des milliers d’aventures différentes, le pousse à rapidement les oublier. Puisqu’il ne grandit pas, il est condamné à ne jamais connaître d’avenir, il lui faut donc, pour pouvoir être pleinement dans le présent, sans cesse oublier ceux qu’il rencontre et les aventures qu’il vit. Cette remarque, nous permet de mieux comprendre un autre point essentiel de cette œuvre : Peter est le Pays Imaginaire.

 

Pour être exact, il est la vie du lieu car lorsqu’il y est absent la vie y est décrite comme « paisible », et « quand les pirates et les enfants s’affrontent, ils se content de se lancer des défis », mais dès le retour de Peter « tous avaient soif de sang ». Nous avons vu que Peter était sans-cœur et le monde est donc à son image, le Pays Imaginaire est indissociable de Peter Pan.  Toutefois, étant l’être le plus essentiel au Pays Imaginaire, à côté de lui, tous les personnages sont interchangeables, périssables et aucun n’existe autant que lui. Si Peter tue ce n’est pas par méchanceté (bon, peut-être par sadisme) mais c’est surtout parce qu’il ignore ce qu’est la mort, et ne se préoccupe que de lui-même. S’il pèche par arrogance ce n’est d’ailleurs qu’une façon d’exprimer son ego, comme lorsque Wendy lui recoud son ombre aux pieds, immédiatement il oublie qu’il doit cela à Wendy et : « Il se figurait avoir rattaché son ombre lui-même. – Comme je suis habile ! triompha-t-il. Pour l’habileté, personne ne me vient à la cheville ! ».

 

 

Un narrateur avec un message ?! Par Saint Georges !

 

Une des particularités de ce roman par rapport aux adaptations qui en sont faites est la présence du narrateur. Celui-ci s’adresse à son lecteur, a un ton particulièrement critique, il ne contente pas de nous présenter l’histoire, comme un simple guide. Au contraire, il utilise son omniscience pour souvent nous faire sortir de ce pays. Peter Pan n’est donc pas une simple visite dans un pays fantastique, mais une critique incessante de ce genre d’univers, le narrateur paraît d’ailleurs très amer, on l’imagine mal s’adresser à des enfants pour les émerveiller. Il nous confie par exemple au sujet de Mme Darling, la seule vraie figure de mère de l’histoire : « J’avais bien l’intention de faire son éloge mais, au fond, je la méprise et ne la louerai donc en rien ». Qui considérerait cette formulation comme aidant à diffuser un message niais d’amour et de générosité, quand il concerne l’un des rares personnages généreux de cette histoire ? Je me permets également de ne pas vous décrire comment finit Mme Darling, mais en seulement neuf mots J.M. Barrie parvient de nouveau à être horrifiant.

 

 

Le dernier chapitre a été écrit et rajouté quelques années après l’écriture de l’histoire principale, et son ajout est d’une richesse extrême. Peter Pan n’est pas qu’une histoire, c’est l’exemple d’une histoire qui n’en finit jamais, ce ne sont que quelques aventures, quelques amis et ennemis parmi tant d’autres. Peter ira toujours chercher de nouveaux enfants, oubliera les anciens et oublie même ses ennemis. Ainsi, n’en déplaise à Diam’s, Peter ne va pas chercher des enfants pour faire péter les Kinder jusqu’à s’en rendre malade et profiter des régalades, mais plutôt pour en faire ses compagnons, et plus exactement des compagnons obéissants.

 

James Barrie avec la duchesse de Sutherland et quatre des garçons Llewelyn Davies, en 1911. A l'arrière (de gauche à droite) : Geroges (18 ans) ; la duchesse ; Peter (14ans) ; A l'avant :  Nico (7ans) ; James (51 ans) ; Michael (11ans)

 

Il ne s’agit pas d’une œuvre faisant l’éloge des enfants et incitant à détester les adultes. D’ailleurs même les enfants sont « gais, innocents et sans cœur ». Le narrateur vous pousse à voir les défauts, plus ou moins horribles, de chacun des personnages, adultes comme enfants. Donc, après-tout, considérer Peter Pan comme une histoire classique où les héros sont de merveilleux compagnons n’est-il pas une aberration ? Peter Pan détourne certains codes des contes pour proposer une morale amère : ne pas grandir expose à une solitude éternelle. Mais rassurez-vous avec les premiers mots de l’œuvre : « tous les enfants, sauf un, grandissent ».