-Florian. Perturbant mais audacieux.

 

Ces deux mots résument bien l’impression que m’a donnée le dernier film de Todd Philipps. Ce long-métrage joue, en effet, beaucoup sur la détresse et la solitude du personnage d’Arthur Fleck, ce qui est une approche plutôt troublante pour présenter le Joker. Cela s’illustre jusque dans la manière de filmer le protagoniste : seul, souvent de dos ou en train de se contorsionner. L’interprétation du Joker par Joaquin Phénix est époustouflante. Sa maigreur, ses expressions faciales, sa démarche et ce rire incontrôlable… On a presque de l’empathie pour ce pauvre Arthur au début du film, mais c’est un véritable tueur psychopathe qui se révélera dans la seconde moitié de l’œuvre. L’entrée en matière peut paraître un peu longue mais je pense qu’elle est nécessaire pour nous ancrer dans un contexte et montrer les véritables causes des actes d’Arthur.

 

 

L’un des moments les plus mémorables du film est sans aucun doute cette danse macabre dans les escaliers. On y voit danser non plus Arthur Fleck mais le Joker qui peut s’exprimer pleinement dans la folie. La musique est quant à elle ponctuelle et discrète et on ne retiendra pas ce film pour sa BO. Les effets spéciaux sont eux-aussi très rares et on se rapproche plus d’un film noir ou d’un drame que d’un film estampillé DC Comics, ce qui, là encore, est audacieux. En résumé, Joker est un film qu’il faut absolument voir même si vous n’y connaissez rien en comics et son acteur principal est un candidat sérieux pour l’Oscar.

 

 

Baptiste. Au-delà de cette interprétation, que reste-t-il ?

 

Aujourd’hui je donne un avis personnel rapide sur le Joker. Contrairement à ce que vont vous faire croire mes acolytes, je ne suis pas complètement rageux. Cependant, je n’ai pas apprécié Joker, certes ce film est tenu magistralement par l’interprétation de Joaquin Phoenix mais mes collègues vous en parleront bien mieux que moi.

De plus il existe beaucoup de films interprétés de manière grandiose, le premier qui me vient à l’esprit c’est Usual Suspects. Ici, je me suis senti perdu par la longueur de certaines scènes mettant en lumière la descente aux enfers psychologique d’Arthur Fleck. Ces scènes montrent à quel point le personnage est torturé mais ne reflètent pas le caractère fondamental du Joker. Arthur Fleck possède un motif ou imagine un motif pour les exactions qu’il commet, or le Joker tel qu’il a été pensé n’a aucun autre motif que faire souffrir pour faire souffrir.

Je peux également parler de l’histoire qui s’éloigne volontairement du comics. Toutefois je pense que pour un personnage à la fois aussi connu et méconnu que le Joker, il aurait été bon de raccrocher une partie du film à une trame familière, en dehors de celle de Batman. J’ai donc eu le sentiment qu’en fin de compte le film parlait de la genèse de Batman.

Finalement avec tous les partis pris du film, on s’éloigne de l’image connue du Joker. Je pense donc que le film aurait tout aussi bien pu s’appeler Fleck sans que cela ne dérange en rien son image.

 

 

 

 

Matthieu. Zoom sur l’évolution de ce Joker :

 

On peut considérer que le film se divise en au moins deux parties, avant et après qu’Arthur n’obtienne le dossier de sa mère et apprenne la vérité sur sa parenté. D’abord il subit la violence des autres, leurs attentes qui ne correspondent pas à ce qu’il est. On voit un sursaut d’opposition à cela, dans le métro, mais ce n’est qu’une réaction non préméditée. Ensuite il reprend son quotidien en subissant de nouveau en silence et ne s’échappant que par le rêve et l’imaginaire.

Dans la seconde partie il rejette violemment ceux qui lui faisaient du mal et ce qu’on lui imposait. Il reconnaît qu’il n’a jamais correspondu à ce qu’on attendait de lui et qu’il n’a jamais été heureux. Il considère alors que la vie n’est plus une tragédie mais une comédie. Son costume et son maquillage changent et deviennent plus colorés.

 

On pourrait penser que le film est le simple passage d’un extrême l’autre, d’un homme qui subissait la société à quelqu’un qui s’y oppose. Mais quelques clés laissent penser le contraire, notamment une phrase : « Je ne suis pas politisé ». Il ne se définit pas par son opposition à la société.

 

Cette supposition s’appuie sur plusieurs indices : « Ils pensent qu’on restera passifs comme des petits enfants bien sages. Qu’on ne se révoltera pas comme des loups-garous ! » ou encore « Je ne crois en rien ». La dernière phrase, expression d’un nihilisme, semble anodine mais lorsqu’il s’agit d’un film sur la transformation d’un personnage, évoquant le passage d’un état de passivité à celui de révolte, on pense rapidement à Friedrich Nietzsche. Au début d’Ainsi parlait Zarathoustra, le philosophe allemand décrit l’évolution d’un esprit qui d’abord subit les valeurs de la société, puis les rejette et dans une troisième étape, établit ses propres valeurs, par-delà le bien et le mal. Le parallèle mérite d’être fait car Arthur aussi critique l’arbitraire du bien et du mal : « Je n’ai plus rien à perdre, plus rien ne peut m’atteindre, la vie est comme une immense comédie. C’est subjectif la comédie, vous dîtes ce qui est bien ou mal comme vous dîtes ce qui est ou drôle ou non ».

Pour finir, le spectateur peut comprendre que le Joker emprunte cette troisième voie également lorsque la caméra montre de nouveau une blague apparue au début du film « J’espère que ma mort aura plus de cents/sens que ma vie ». La relisant, il choisit de donner un sens à sa vie, acceptant les conséquences, dans une logique d’amor fati. Il conclue le film, se transformant de nouveau en dessinant son sourire avec son propre sang et s’ouvre au monde, bras ouverts, prêt à embrasser les conséquences de la vie qu’il s’apprête à mener.

 

 

Aymeric. L’émotion transmise par le personnage

 

Joker peut être considéré comme une interprétation théâtrale du personnage emblématique des Comics. En effet, le jeu autour du maquillage du personnage principal n’est pas sans nous rappeler l’utilisation grecque des masques au théâtre. Ce masque représente à la fois le fait de pouvoir enfin s’exprimer sous couvert d’anonymat, le refoulement de sa véritable identité mais représente aussi la libération du personnage qui peut enfin laisser exprimer sa folie, être lui-même et rend ainsi un merveilleux effet cathartique aux yeux des spectateurs qui se laissent transcender par cette folie.

 

Qui aurait cru possible une si grande empathie pour un être aussi instable et dangereux.  C’est le cœur serré que l’on observe ce personnage déverser toute la rancœur qu’il a accumulée. C’est en nous prenant dans une macabre chorégraphie que le film nous permet d’observer la naissance du plus dangereux et emblématique personnage de DC comics.