« La Reine rouge ne tolère pas qu’on lui désobéisse. Qu’on lui coupe la tête »

Un enfant ennuyé par le monde des adultes et qui trouve refuge dans un monde extraordinaire et merveilleux où les lois n’ont plus leur place. Cela vous parle ? On y peut aussi y rajouter plus d’une dizaine de personnages haut en couleurs et vous voici avec le synopsis de Peter Pan et d’Alice au pays des merveilles !

Bien sûr, les deux œuvres sont très différentes, mais la similarité de leur synopsis a fait que les deux œuvres ont souvent été comparées. Pourquoi pas en faire un film ? C’est l’idée proposée par le film Come away où Alice et Peter sont frère et sœur, et c’est bien dommage ! C’est dommage car Come away se retrouve avec un triple travail : proposer une interprétation intéressante de Peter Pan, faire de même avec Alice, et en plus devoir raconter sa propre histoire. Là est le problème, le défi était peut-être trop ambitieux.

Un beau film complet.

Disons-le de suite, c’est un plutôt bon film. Il y a de jolis effets spéciaux, de jolies musiques, une ambiance réussie et de superbe costumes, c’est vraiment top visuellement. Le le film tient même à partager une belle histoire, plutôt émouvante avec un propos pourtant difficile : comment un enfant peut surmonter un drame familiale. L’histoire sur le fait de grandir à travers des épreuves difficile est plutôt bien menée.

Le scénario est assez simple, il n’y a pas trop de personnages, ce qui permet de mieux se concentrer sur les protagonistes, et les musiques et différents effets spéciaux aident à transmettre les émotions de la famille que nous suivons à l’écran. Un exemple que j’ai en tête : les scènes où les enfants s’apprêtent à se coucher, en écoutant une histoire sont accompagnées de musiques qui reflètent l’ambiance et les relations entre les personnages, d’abord douces puis tristes par exemple. La musique est grandement présente tout le long du film et permet de partager rapidement des informations sur l’état et les pensées des personnages et rend donc possible des scènes plus courtes et dynamiques. Ce film a donc de vrais atouts et se laisse tout à fait regarder si vous le prenez comme un film avec pour thème le fait de grandir à travers différentes épreuves, en oubliant qu’il s’agit d’un film lié à Peter Pan et Alice.

Le thème est pourtant parfait pour l’histoire de Peter Pan me direz-vous ? Apprendre à grandir, voilà un sujet tout trouvé pour un film avec le malicieux Peter ! Oui, sans doute, mais ce serait oublier l’autre inconnue de l’équation, le cheveu dans la soupe de simili-tortue, la place manquante autour d’une table vide ou encore la sentence avant le jugement, bref, l’élément de surprise, j’ai nommé : Alice !

Eat-me, drink-me: indigestion.

Eh oui, que faire d’une petite fille de la haute société victorienne qui se rend d’un point A à un point B sans avoir rien appris, ni évolué ? Que vient-elle faire dans l’histoire du jeune Peter Pan qui doit apprendre à grandir ? Alice est l’antithèse de l’histoire pour enfant. Si un conte pour enfant doit être moral et montrer l’importance de certaines valeurs, Alice est une histoire qui a été écrite pour amuser des enfants mais pas pour leur apporter une quelconque morale. Inévitablement, le mélange d’Alice et Peter Pan ne fonctionne pas vraiment parce qu’Alice n’apporte rien. Pourtant, le film promettait de s’éloigner de la version classique d’Alice puisqu’il s’agit d’une sorte de préquel : Alice n’est pas censée avoir vécu les histoires du livre. C’était l’occasion d’apporter beaucoup au personnage et de faire qu’elle apporte tout autant au reste du film.

Je vous jure, faites le test, regardez le film en zappant tous les passages où Alice est seule à l’écran : vous ne manquerez rien de l’intrigue du film. A la fin de mon premier visionnage du film, je me suis dit qu’Alice avait vraiment un rôle mineur, et qu’en fait elle ne servait qu’à une chose : que sa mère prenne réellement conscience que la tante d’Alice méprise son père. Mais je me trompais, car ce fait n’a aucune conséquence. On pourrait croire que cela pousse la tante d’Alice à emmener Alice pour être éduquée comme une vraie petite fille victorienne de famille noble. Mais cette hypothèse est rejetée par le film car c’est Alice elle-même qui fait cette demande à sa tante. Tout cela n’a de toute façon aucune importance puisque Alice n’ira pas et restera chez ses parents, comme au début. Après plusieurs visionnages du film je peux vous écrire noir sur blanc qu’Alice ne sert à rien dans ce film, elle ne fait pas avancer l’intrigue. Son personnage en tant qu’enfant est intéressant, pour s’identifier à elle par exemple, mais le personnage que nous voyons n’a aucune incidence sur l’histoire ni même sur les autres personnages. Elle pourrait être absente que nous aurions une aussi belle histoire portée par Peter tout seul.

Les références, ou gloubi-boulga de phrases et éléments qui sont dans le film pour que le spectateur puisse dire « AH ! Ça, je connais!».

Évidemment, lorsqu’on utilise le personnage d’Alice dans un film, on ne l’utilise pas seulement pour la personnalité ou les caractéristiques que lui a donnés Lewis Carroll. Quand Alice est présente quelque part, on a le droit au packaging complet avec les meilleures citations, les plus belles références de ta région et les produits phares du pays des merveilles qui sont déjà usés et poncés jusqu’à la moelle. Pourquoi est-ce un problème ?

Je comprends que l’intérêt d’une adaptation est de pouvoir proposer une vision un peu ou très différente de l’originale. Toutefois, le film fait des références au livre de façon très calqué, en réutilisant les phrases cultes mais dans un contexte très différent. Au contraire du livre, les échanges entre les personnages sont généralement assez courts, et les références paraissent alors toujours forcées et ne sortent pas naturellement. Certaines répliques sont gardées telles quelles, comme si elles devaient être là simplement pour faire plaisir. Nous assistons donc avec grand malheur en la transformation de références calquées en références claquées !

Le personnage nommé Alice dans le film est peut-être intéressant mais il l’est beaucoup moins en tant qu’adaptation d’Alice. Il n’y a pas toujours de lien intelligent entre le personnage et les références présentes. L’exemple le plus emblématique est celui que j’ai choisi de mettre en introduction de cet article : « La Reine rouge ne tolère pas qu’on lui désobéisse. Qu’on lui coupe la tête », c’est une citation du film, la version anglaise ne présente pas de grande différence. Et pourtant cette référence n’a rien d’intéressant, parce qu’on ne sait pas pourquoi les enfants ont une private joke autour de la Reine rouge, ni pourquoi ils parlent de décapitation, rien n’est expliqué. Et si vous me dites « mais enfin ! La Reine rouge demande toujours qu’on coupe la tête de quelqu’un, c’est un simple clin d’œil, il ne faut pas chercher plus loin ! ». Je trouve d’abord dommage de faire deux fois la même citation dans le film si c’est un simple clin d’œil, et ensuite, il faut savoir que la Reine Rouge n’est pas la Reine de Cœur.

La Reine de Cœur est bien celle qui ordonne les décapitations, mais elle n’a rien à voir avec la Reine Rouge. La Reine Rouge apparait dans De l’autre côté du miroir. Et pourtant les scénaristes doivent le savoir puisqu’ils ont fait dire à Alice mot pour moi une réplique du chapitre 9 de De l’autre côté du miroir où Alice s’adresse à la Reine Rouge « – Mais si tout le monde suivait cette règle, répliqua Alice si on ne parlait que lorsqu’une autre personne vous adressait la parole, et si l’autre personne attendait toujours que ce soit vous qui commenciez, alors, voyez-vous, personne ne dirait jamais rien ». On pourrait alors penser que les scénaristes ont voulu gagner du temps pour raconter plus de choses et ont donc fusionné la Reine Rouge et la Reine de Cœur, mais je rappelle qu’Alice n’a aucune conséquences sur le scénario, donc je ne comprends vraiment pas. Ma seule explication est qu’ils ont simplement copié Tim Burton, je ne vois que ça.

Je vous conseille donc de voir ce film simplement comme une belle histoire, regardez-le donc ! Si l’on voulait simplement des références à Alice, autant toutes les faire d’un coup et en être débarrassé. Voilà d’ailleurs ce que je vais faire, je liste ici toutes les références à Alice pour vous épargner la peine de voir le film si c’est juste l’univers d’Alice qui vous intéresse :

  1. Les enfants font un château de carte, David dit « prends garde à la reine de cœur »
  2. La mère et une autre dame jouent aux échecs, « la reine rouge bat la reine blanche »
  3. Alice sort la réplique du chapitre 9 de De l’autre côté du miroir : « Mais si on doit attendre qu’on nous donne la parole pour parler, alors plus personne ne peut parler »
  4. David fois : « la reine rouge n’aime pas qu’on lui désobéisse » « qu’on lui coupe la tête »
  5. David continue dans sa private joke qui exclut le spectateur : «si la reine blanche peut me gracier »
  6. Le lapin blanc en peluche d’Alice a une veste.
  7. David veut un chapeau pour son anniversaire (quand la mère fabrique le chapeau on imagine bien un clin d’œil au chapelier fou).
  8. Sur le mouchoir envoyé par les percepteurs de dette il est écrit « too late », éventuellement une référence au temps et au lapin toujours en retard.
  9. Les enfants qui aident Alice et Peter disparaissent lorsqu’Alice a le dos tourné, comme le chat du Cheshire a l’habitude de disparaitre sans prévenir.
  10. Le premier homme qu’ils voient chez le prêteur sur gage a un grand chapeau et l’air excentrique, comme le Chapelier fou. L’homme leur pose d’ailleurs la devinette « pourquoi un corbeau ressemble à un bureau » qui est la devinette posée à Alice par le Chapelier. A ce moment Alice déclare aimer les devinettes comme l’héroïne du livre.
  11. Btw, je relève aussi une référence à Peter Pan parce qu’elle est, je pense assez discrète. L’homme qui se présente comme C.J. et se révèle avoir un point commun avec le Capitaine Crochet, eh bien figurez vous que ses initiales sont celles de James Cook, le personne qui a le plus probablement était l’inspiration du capitaine Crochet.
  12. Lorsqu’Alice surprend sa mère boire, elle lui demande ce que fait sa potion, comme les différentes boissons que boit Alice dans le livre et qui la font grandir ou rétrécir. Alice boit effectivement la « potion » de sa mère, on y voit d’ailleurs l’inscription « Drink Me » lorsqu’Alice s’empare de la bouteille. Alice rétrécit alors et un paquet de cartes uniquement constitué de la reine de cœur lui tombent dessus. Encore une fois référence à la reine de cœur et aux cartes, qui constituent la cour et les sujets dans le livre Alice.
  13. Lorsque la mère d’Alice se met en colère, Alice la voit sous les traits de la reine de cœur, et criant « qu’on lui coupe la tête ».
  14. A la fin du film, Alice a une robe bleue et blanche avec un ruban noir dans les cheveux, ce qui est la tenue associée à Alice.
  15. Alice voit ensuite sa tante sous les traits de la reine de cœur et entend de nouveau « la reine rouge ne tolère pas qu’on lui désobéisse. Qu’on lui coupe la tête ».
  16. On entend également une voix sortant gratuitement un « je suis en retard », pas de souci, tout va bien.
  17. Alice retrouve donc un arbre avec un terrier de lapin, y plonge et court ensuite dans une forêt labyrinthique et fait face à sa mère sous les traits de la reine blanche ? Je ne sais pas exactement qui on est censé reconnaitre et je ne pense pas que les auteurs le sachent non plus puisqu’ils confondent Reine Rouge et Reine de cœur depuis le début du film.
  18. Alice sort ensuite du terrier.
  19. A la toute fin du film, Alice touche un miroir avec son doigt et la caméra nous fait passer de l’autre côté, référence à De l’autre côté du miroir, la suite des aventures d’Alice au pays des merveilles.
  20. En voix off, Alice nous dit également qu’étant adulte, elle ne saura pas retrouver le terrier du lapin blanc.