« Les années, les années peuvent passer, mais le souvenir de cet instant -jamais ! Ah ! Les fleurs et la vigne n’étaient pas choses inconnues pour moi ; mais l’aconit et le cyprès m’ombragèrent nuit et jour« . p361 des Histoires extraordinaires, Edgar Allan Poe, nouvelle Morella

 

 

Avec cet extrait, vous l’aurez compris : nous nous dirigeons vers le domaine de la littérature. Pour être exact, il s’agira d’un recueil de nouvelles : les Histoires extraordinaires, d’Edgar Allan Poe, traduit en 1856 par Charles Baudelaire. Au programme : surprises, mélancolie et style poétique !

 

 

 

Auteur et logicien.

 

L’une des caractéristiques principales de ce recueil est d’être un ensemble de nouvelles, short-stories, où la forme de chacune est particulièrement travaillée. Poe soigne minutieusement le déroulé de ses histoires. Elles ont toutes en commun trois éléments dans leur construction et pour tout à fait les comprendre nous allons prendre l’exemple de la nouvelle Morella. Dès le commencement nous sommes plongés avec un héros qui s’apprête à vivre un évènement extraordinaire ou un phénomène étonnant, mais toujours ancré dans le vraisemblable, voici les premières lignes de notre nouvelle d’exemple : « Ce que j’éprouvais relativement à mon amie était une profonde mais très singulière affection ». Ensuite Poe nous fait suivre les différents sentiments de notre héros et bien souvent un lien s’immisce avec le mystique ou avec l’effroi et la souffrance ressentis par notre protagoniste, ici nous avons : « Mais, avant qu’il fût longtemps, le ciel de cette pure affection s’assombrit, et la mélancolie, et l’horreur, et l’angoisse y défilèrent en nuages ». Enfin, arrive la chute de la nouvelle, mais que je ne spoilerai pas pour Morella.

 

Une répétition de trois éléments, cela peut sembler peu, mais ce n’était qu’un aperçu de l’importance de l’ordre et surtout de la logique dans les écrits de Poe. A travers toutes les nouvelles du recueil nous la retrouverons sous plusieurs formes : l’explication de divers mécanismes, comme la description étonnamment détaillée du fonctionnement d’un ballon (montgolfière) dans Le canard au ballon ainsi que dans l’Aventure sans pareille d’un certain Hans Pfaal, la confrontation avec un système de cryptographie et sa résolution dans Le scarabée d’or, ou encore l’implacabilité de la logique dans les déductions d’un enquêteur dans Double assassinat dans la rue Morgue et La Lettre volée. Cette logique est très bien venue pour ces récits car lors de l’expression de souffrance des personnages, ou de la description d’horreur de leur malheur, cela renforce l’impression d’inéluctabilité, que la situation ne pouvait évoluer que dans ce sens, que tout y conduisait. Notre héros semble ainsi d’autant plus pris au piège. Pour conclure sur ce point, notons que les personnages conservent leur esprit rationnel malgré les événements extraordinaires auxquels ils font face, comme dans Une descente dans le Maëlstorm, où notre héros fait preuve d’un esprit analytique exceptionnel alors qu’il est pris au cœur d’une tempête mortelle.

 

Interprétation de Poe par George Watsky à l'occasion d'un Epic Rap Battle contre Stephen King, joué par Zach Sherwin, https://www.youtube.com/watch?v=56R3hU-fWZY

 

Le maintien de la vraisemblance.

 

Le point de départ de ces nouvelles est toujours un évènement extraordinaire, ce qui permet au déroulement de pouvoir facilement surprendre le lecteur par ses péripéties, mais un point de travail déterminant dans l’œuvre de Poe est de conserver l’idée que cela paraisse possible malgré l’étonnement provoqué. La Lettre volée en est une bonne illustration puisqu’il s’agit d’une enquête où la police ne parvient pas à retrouver une lettre de grande valeur malgré des fouilles minutieuses et sachant dans quel domicile elle se trouve. Plutôt que d’imaginer un mécanisme trop savant, Poe réussira à créer une chute puissante en alliant simplicité et vraisemblance.

Pour les autres nouvelles, cette préservation du réalisme rajoute à la tension des récits, renforçant également l’effroi transmis par le ressenti des personnages. Pour obtenir cet effet, notre auteur n’utilise pas sa seule imagination mais s’appuie sur des faits divers et autres sources. Le canard au ballon reprend sur un autre ton un voyage accompli par trois aéronautes américains en 1836, La vérité sur le cas de M. Valdemar et La révélation magnétique sont deux nouvelles qui prennent leur source dans le mesmérisme, une pseudo-science qui se développe en partie durant le 18e. L’apparente scientificité de La vérité sur le cas de M. Valdemar était d’ailleurs telle que Poe dut préciser qu’il s’agissait d’une fiction et non d’un reportage scientifique.

 

 

Un texte poétique.

 

 

On a donc vu que les nouvelles de ce recueil brillent par leur construction logique pensée pour provoquer le maximum de surprise ou de sentiments au lecteur, également aidée par la vraisemblance qui renforce cet effet. Les Histoires Extraordinaires recèlent cependant une autre richesse qui complète et apporte un plaisir immédiat à leur lecture : la plume de Poe. L’écrit sait être méthodique et utiliser le jargon scientifique pour construire la forme de son histoire mais la description des sentiments est elle aussi particulièrement réussie et le lyrisme permet de se plonger très facilement dans la lecture.

 

 

Même si la plupart des nouvelles tournent autour de la tourmente du protagoniste, la représentation en mille et un détails des objets, des sensations et surtout des visages rend élégant le malheur ou le désespoir de leur situation. Le choix habile des mots, la présence des métaphores et la montée en puissance des expressions au fur et à mesure du récit assurent une réussite des effets voulus par l’auteur de ces short-stories. Cette poésie est surtout présente parmi les trois dernières nouvelles de l’ouvrage : Morella, Ligeia et Metzengerstein, si vous ne comptez pas lire le recueil en entier, courez au moins vers celles-ci.

 

 

 

Le recueil des Histoires Extraordinaires sait donc allier des intrigues étonnantes à une construction soignée pour assurer la surprise et une poésie envoûtante qui accompagne son texte. Cela transforme la lecture et transmet un ressenti qui ne laissera personne indifférent.