André Franquin. Difficile d’évoquer ce nom sans penser Spirou, Fantasio, Marsupilami… et Gaston Lagaffe. Ce qui est triste en un sens c’est que pour le grand public le travail de l’ami AF correspond à une poignée de personnages iconiques, qui certes peuvent être très drôles mais dont le ton est assez lisse et consensuel.

C’était sans compter sur l’une des œuvres les plus intéressantes produites par l’auteur de Gaston, et sur laquelle votre serviteur a décidé de s’attarder : la série des Idées Noires.

 

Les Idées Noires, c’est une série de planches publiées dans un premier temps pour le supplément du Journal de Spirou (Trombone Illustré) puis ensuite pour Fluide Glacial après la disparition dudit supplément.

Quand Franquin initie le projet Idées noires avec son ami Delporte en 1977, plusieurs idées gravitent alors dans son crâne au demeurant tourmenté.

En premier lieu il est a envie de donner un bon coup de pied dans la fourmilière de la bande dessinée franco-belge en général, et chez les éditions Dupuis en particulier. Le supplément qu’il créé pour le journal de Spirou – Le Trombone Illustré – c’est avant tout une volonté de lancer le magazine sur le créneau de la bande dessinée « pour adulte », de faire de la bd grand public tout en s’adressant à une audience plus mature, portant sur des sujets plus graves. Au crépuscule des années septente, l’idée que la bande dessinée ne s’adresse pas seulement aux gamins n’a pas germé dans toutes les têtes.

 

Ensuite cela lui permet du même coup de casser avec l’aspect parfois lisse des héros de bd franco-belge classique de type Spirou.

Mais l’aspect qui m’intéresse le plus dans la démarche de Franquin c’est son envie de « sublimer » l’aspect de sa personnalité qui jusque-là l’avait plus freiné artistiquement qu’autre chose : sa névrose.

André est en effet un dépressif notoire et ce depuis de nombreuses années. Niveau moral il en a déjà connu un ou deux des passages à vide, et là il est dans ses mauvais jours.

Qu’à cela ne tienne, il va le retranscrire en BD, et il va publier tout ça dans Spirou. Son humour se retrouve ainsi allié à sa conception pour le moins pessimiste de ses contemporains.

 

 

 

Le belge se lâche. Littéralement. Il laisse parler les aspects les moins connus de sa personnalité artistique, sa tendance à la misanthropie, son aversion pour le militarisme, la religion, l’ordre établi, la cupidité, l’hypocrisie, et surtout son mépris face à ce monde en pleine mutation qu’il juge être d’une stupidité affligeante.

 

Si vous êtes féru d’humour noir vous ne pouvez passer à côté de ces planches, car nombre d’entre elles sont des pépites. Si vous êtes passés par des périodes de trou niveau moral, ou même simplement si certains soirs (tout le temps en fait) vous avez tendance à trouver que tout le monde est con, et que le monde court à sa perte, vous trouverez sûrement dans ces dessins une complicité morale salvatrice.

 

Ce que je trouve inspirant dans les idées noires de Franquin c’est la manière dont il a utilisé cette série pour contrôler sa dépression. Plutôt que de se laisser abattre par le cafard, il est parvenu à l’exprimer à travers la BD, et en le mettant ainsi au service de son œuvre. Ainsi plutôt que d’en faire un sujet tabou ou sérieux, Franquin a décidé de rire et de faire rire de son état psychique. En un sens il a dédramatisé sa dépression.

 

Cela vient sûrement d’une tendance à la dépression qui n’était pas mortelle car ce sont tout de même des gags pour faire rire, non ?

Ce que disait l’intéressé à propos de la création de cette série.

 

Bref, mon avis c’est que ça coûte moins cher que deux ans de thérapie. À bon entendeur.