Souvent, la première raison pour laquelle j’attrape un livre sur une étagère n’est autre que sa couverture. Celle-ci était douce. Le titre, comme aquarellé, dégageait la lumière d’un levé de soleil, comme une promesse d’espoir.

Ces quatre mots, « Eloge de la faiblesse » résonnaient en moi comme une énigme : qu’avait-il voulu dire ? Depuis quand faisions-nous l’éloge du moins, l’éloge du pire ? C’est à la lecture que j’ai compris, et pour une fois peut être que mes cours de latin et d’espagnol m’auront aidée.

Commençons par un petit peu d’étymologie. En espagnol le mot faiblesse se traduit par « debilidad ». Or, le mot « Débile » vient de « habilis » en latin, qui signifie : « pas capable, bon à rien ». Ce « défaut » a d’abord désigné une infirmité physique (pour désigner quelqu’un de mutilé) avant de glisser de sens pour définir une infirmité d’esprit (débile mental).

De la même façon, « Imbécile », signifiant « manquant d’intelligence », vient du latin « Imbecillus » qui signifiait « faible » (signifiant en fait à la base : « Sans bâton », soit pour désigner quelqu’un qui était désarmé, ou à qui il manquait quelque chose pour s’appuyer).

Par glissement de sens, on est donc passé d’une faiblesse « physique », à une infirmité morale. Si tu as eu le courage de lire ce paragraphe, un peu scolaire mais très éclairant il me semble, tu comprendras donc quel quiproquo peut se loger dans le titre de cet ouvrage, délibérément laissé à la libre interprétation du lecteur par Alexandre Jollien.

Il me semble qu’à travers cette quête philosophique Alexandre Jollien nous dévoile ici son propre cheminement quant à la question « Ma faiblesse fait-elle de moi quelqu’un de débile ? ». Handicapé moteur, il est accueilli dans un centre spécialisé et souffre de cet isolement aussi bien physique que moral. Loin de vouloir proférer une leçon de morale contre son lecteur, c’est en analysant son propre parcours qu’il nous amène à réfléchir au sens du mot faiblesse.

« Trouver un sens aux expériences de la vie. »

Son handicap physique a fait de lui la cible des moqueries, du rejet et des dysfonctionnements du système médico-social en France. Dans cet essai, il nous explique comment la philosophie lui a progressivement appris à porter un regard neuf sur la société et sur sa propre existence.

« La philosophie, en effet, et c’est exigeant et continuel effort de « regarder autrement ». »

Et si nous décentrions notre regard ? Si au lieu de chercher quoi apporter aux plus faibles, nous regardions plutôt ce qu’ils ont à nous donner ? Apprendre à « vivre meilleur et non vivre mieux » : envisager son bonheur comme faisant parti d’un tout élargi au bien être commun. Apprendre à lire la vie, apprendre à voir la joie, là où nous ne voyons jusqu’à présent que différence et étrangeté.

« Considérer le monde comme un Silène, ces petites boîte d’allure grossière qui recelaient en leur sein de trésors. »

Qu’est ce que le handicap ? Peut-on le réduire seulement à une incapacité, une « faiblesse » ? A travers son expérience, l’auteur nous pousse à nous interroger sur la normalité. Qu’est ce qu’être normal ? Il nous invite ainsi à « Découvrir au cœur de la faiblesse la grandeur de l’homme. ».

C’est ici un aspect extrêmement intéressant que souligne Alexandre Jollien : le pouvoir de l’amitié. Les petits gestes du quotidien, les regards, les silences de ses camarades, en signe de soutien ; de la sincérité toujours, de la loyauté beaucoup, face à la maladresse et parfois même la brutalité dont peuvent faire preuve les éducateurs de la structure dans laquelle il est accueilli. Ce « regard qui accorde la priorité à autrui » et qui vous fait sentir vivant aux yeux de quelqu’un au moins, enfin.

Cet autre rapport au corps aussi, cette proximité physique qui panse les plaies des mal-aimés s’aimant entre-eux, ce retour à plus de spontanéité et d’innocence. Autant de considérations qui sont aujourd’hui, pour nous valides, de bien petites préoccupations, et qui pourtant, bien souvent, nous re-connecteraient à la réalité ; avec cette sincérité du coeur et de l’esprit qui vous font porter sur le monde un regard emprunt d’une bien plus grande humanité.

« Ensemble, nous pouvions mieux tolérer l’intolérable de notre situation. »

Il n’est pas d’homme qui puisse vivre dans la solitude de son coeur, semble nous rappeler Alexandre Jollien. C’est dans la discussion, dans l’échange et la confrontation, même s’ils doivent être synonymes de difficultés, qu’il a su « tirer profit de l’injustice », qu’il a su faire de sa condition une raison de toujours chercher à s’améliorer, jusqu’à écrire ce « petit manuel d’un progressant qui a pour guide la joie ».

Il ne s’agit plus de devenir « normal », de s’extraire de sa condition, mais d’en faire une force, une arme de bonheur, créant une joie plus grande que l’immensité de leurs blessures.

« La blessure n’est pas toujours là où on le croit. »

Si je ne devais retenir qu’une chose de cette lecture inspirante, il me semble que cela serait la force qui réside en chacun d’entre nous. Même tout au fond de votre âme, même quand les entailles se font profondes, il se trouve au fond de votre coeur une capacité à dialoguer avec vous-même, pour plus de progrès, ce progrès qui amène la lumière. On mesure ici le pouvoir que peuvent avoir les mots : tantôt armes tranchantes, tantôt griffes salvatrices, ils savent déceler l’ombre des la lumière, illustrer les combats de nos âmes et dépeindre la chaleur de notre coeur.

« Ce dialogue a été le lieu d’une naissance. »

Ici, les mots d’Alexandre Jollien sont la preuve de sa grandeur intellectuelle, malgré son handicap physique, nous ramenant à la distinction réalisée au début : ne réduisons pas d’un regard peureux la différence à une faiblesse.

« La réification consiste à réduire l’autre au rang de choses » disait Sartre et c’est de cet immobilisme qu’Alexandre Jollien se hisse et tire chacun de ses lecteurs à la lecture de cette réflexion humaniste.