Point de départ

Qui n’en a jamais eu assez de se lever aux aurores pour des cours de business analytics ? Qu’y a-t-il de pire que de prendre tous les jours le même métro, à la même heure, pour faire quelque chose alors que tu voudrais être ailleurs ? L’album Fenêtre sur rue, du rappeur parisien Hugo TSR, sorti en 2012, retranscrit à merveille cette sensation de déjà vu, d’un ras-le-bol dont on ne peut pas sortir, d’une manière aussi révoltée que nostalgique. 

Une inspiration hitchcockienne ?

L’excellent film d’Alfred Hitchcock Fenêtre sur cour sorti en 1955, qui présentait la vie de James Stewart, un brillant enquêteur bloqué chez lui après un accident, qui va découvrir des sombres histoires dans l’immeuble en face de chez lui, a largement inspiré le rappeur pour le titre de son 3 ème album solo. 

En effet, avec un pivotement à 180°, l’artiste nous offre une fenêtre sur sa rue, et plus précisément sur son quartier, le 18 ème arrondissement de Paris. 

Finalement, c’est en regardant la pochette que l’univers du rappeur finit de nous intriguer. Un jeune garçon joue à la marelle sur un corps dessiné à la craie, venant rappeler aux auditeurs que la fenêtre sur la rue n’est pas enchanteresse et enfantine mais bien un passage vers le côté sombre de la capitale, entre dealeurs, policiers et jeunes désabusés qui essaient de cohabiter. 

Ô ville lumière

Exit les grands boulevards illuminés, les fashion week et les attrape touristes, c’est dans une vraie vie d’arrondissement que le rappeur nous emmène. A sa manière, il nous emporte dans son quotidien, entre sa Rue de la Chapelle (« Rue d’la Chapelle, drôle d’ambiance faut tenir l’coup ») et sa ligne de métro préférée, La Ligne verte, la ligne 12 (« La ligne verte, quelques mesures grattées au fond de la ligne 12 »).

Discret et casanier, Hugo TSR commence son titre Point de Départ, en reprenant la phrase écrite par Hitchcock : 

« J’suis cloué dans un appartement d’deux pièces mais n’ayant rien d’autre à faire que de regarder par la fenêtre c’qui s’passe chez les voisins », prouvant bien son incapacité à se sortir de sa situation.  

Le rappeur raconte ce qu’il vit, contrairement à certains autres artistes qui écrivent pour faire rêver les adolescentes et remplir leur nombre hebdomadaires de showcases. 

Il n’y a pas d’autotune, pas de featuring aguicheurs mais une description d’un enfermement constant, inéluctable. 

Hugo TSR dans le titre Fenêtre sur rue décrit un quotidien répétitif, comme si il n’avait nulle part où aller, à l’image de son ex copine : 

« Y a cette fille qui ressemble à une ex, mais non, c’est elle

Elle qui racontait : ‘Moi, j’me barre, j’reviens jamais dans c’tier-quar »

Elle qu’a fait tant d’écarts, elle fait la belle mais toujours en lère-ga »

Ou encore du type de la table 6 :

« Au restaurant du coin, table 6, toujours le même type

Il v’nait avec sa femme, d’puis qu’elle est die, il fait l’amnésique

Il boit en continu, les yeux rivés sur la jeunesse

Très peu d’espoir : voilà c’que j’vois par ma fenêtre ».

En définitive, c’est une certaine mélancolie qui semble affecter Hugo TSR dans ses sons. Il a beau habiter la ville lumière, ville de tous les fantasmes, il se sent prisonnier derrière des barreaux, des barrières, et semble perdre l’espoir d’un jour s’échapper. 

Hugo TSR est-il un gilet jaune ?

« Petit, tu vois ça, hein
C’est quand on est prisonnier de sa colère
C’est l’exemple typique
Vous voyez la peur s’exprimer?
Ce garçon a une peur mortelle de la vérité
Petit, ça me brise le coeur de te dire ça
Mais je pense que tu es un jeune homme très perturbé et que tu es très désorienté »

C’est en ajoutant cette partie du film Donnie Darko de Richard Kelly, sorti en 2002, que le rappeur débute Ugotrip, le deuxième titre de l’album.

Par cette référence, Hugo TSR souhaite partager sa colère, d’un citoyen qui se sent enfermé dans sa situation, notamment financière, comme il le fera savoir dans Alors dites pas : « Bac+3 tout c’qu’on m’propose c’est conduire une camionnette ».

Au delà de ça, c’est plutôt un ras-le-bol de l’Etat et de la gestion du pays qu’il souhaite partager avec ses auditeurs. Il se sert du rap comme ce pour quoi il a été crée : revendiquer.

« J’ai pas eu l’choix, Monsieur pouvoir d’achat m’a fait intérimaire

Business et violence pour la jeunesse d’un pays d’merde » (Alors dites pas)

Est-ce que c’est vraiment bien ?

Bon, il est vrai que si vous écoutez un titre et que vous ne connaissez-pas, vous risquez fortement d’apprécier. Un deuxième ? Vous en découvrez plus, super. Mais au bout du troisième, un néophyte va sûrement faire une overdose. 

Depuis les débuts du rappeur, le rap a changé, les styles à la mode s’enchaînent, mais lui n’a jamais tourné le dos à ses fondations.

En effet, il est souvent reproché au rappeur d’être assez répétitif, aussi bien dans ses textes que dans le choix de ses instrumentales et dans sa manière de poser. Et cela se retrouve dans Fenêtre sur Rue. Simple habitude d’un flow qu’il affectionne ou engagement artistique pour davantage décrire la monotonie de son quotidien ? 

Néanmoins, la force du bonhomme est bien là : 20 ans se sont écoulés depuis qu’il a pris le micro pour la première fois, mais l’artiste est resté le même. 

Dès lors, pourquoi changer les ingrédients lorsque la recette nous convient parfaitement ? De toute façon, que vous l’aimez ou pas, il s’en moque. Sa seule mission à lui, c’est de rapper en laissant libre-court à sa vision artistique. Loin du feu des projecteurs s’il le faut.

Point final

« Le Floch : Aller, encore quelque verres et j’en aurais plus rien a foutre, J’vous r’met ça ? Ba, c’est drôle : on a l’impression que vous vous forcez. Vous n’aimez pas ça ?

Darius : Sinon je peux pas écrire

Le Floch : Comment ça ?

Darius : Un matin, en me réveillant après une nuit de beuverie … j’me suis rendu compte que dans la nuit, j’avais écrit

Le Floch : Ho ho ho ho ho, hey hey hey, ho ho ho. Ah ! Ah, vous êtes vraiment un artiste vous. Parce que moi quand je bois je dors aussi mais quand j’me réveille j’ai pas écris, j’ai vomi c’est tout »

Tiré du film Le Créateur de Albert Dupontel, sorti en 1999, l’interlude de l’album résume finalement assez bien le personnage de Hugo. D’un côté, Le Floch représenterait Hugo lorsqu’il est alcoolisé, lassé de sa vie parisienne et Darius serait le Hugo artiste, plein de rêve et d’envies. Bref, au fond, Hugo TSR est peut-être bien un Tbsien lambda. 

Merci de votre lecture ! 

Erwin David