C’est avec un immense plaisir que je vous retrouve pour aborder une œuvre, que dis-je, un chef d’œuvre, chère à mon cœur. Vous l’aurez sûrement compris au titre, nous aborderons un livre de l’univers de Lovecraft. Mais pas n’importe quel livre, puisqu’il s’agit d’une adaptation de Celui qui hantait les ténèbres.

 

Mais pourquoi donc une adaptation, me direz-vous ? L’œuvre originale aurait très bien fait l’affaire, et surtout que, comme les connaisseurs du genre le savent, adapter du Lovecraft revient souvent à perdre ce qui fait Lovecraft. Vous imaginez bien que je ne vous proposerais pas mon avis sur ce livre, si je ne le trouvais pas excellent.

 

Sachez d’abord que ce livre est un manga de Gou Tanabe datant de 2016 reprenant deux nouvelles de Lovecraft : Dagon et Celui qui hantait les ténèbres, toutes deux étant sorti en 1917. J’ai choisi de vous présenter cette œuvre pour de multiples raisons que je vais, dès à présent, vous détailler.

 

La découverte du genre

Pour ne rien vous cacher, j’ai fait l’acquisition du manga Celui qui hantait les ténèbres de façon purement fortuite. Cela a, pour ainsi dire, renforcé l’expérience en elle-même. Pour aller plus loin dans les petits à côté intéressants, ce manga a des dimensions supérieures aux standards des autres mangas et sa couverture est, elle aussi, particulière, mais j’y reviendrai.

 

Cette œuvre est, à mon humble avis, parfaite pour découvrir le monde de Lovecraft, tout comme les 4 tomes qui le précède. Effectivement, Gou Tanabe s’est décidé d’adapter les plus grands chefs-d’œuvre de Lovecraft. Mais nulle crainte, il n’existe pas, à proprement parler, de timeline dans les récits de Lovecraft.

 

Revenons tout de même à la question de départ : pourquoi un manga ? À vrai dire, lire du Lovecraft peut être un peu déroutant. Certaines de ses nouvelles se lisent très bien – je vous conseille L’Appel de Cthulhu par ailleurs – mais ce n’est pas le cas pour toutes. Il décrit l’indescriptible, et c’est à vous, lecteurs, de parvenir à l’imaginer. C’est donc un excellent moyen pour se familiariser au genre.

 

Un manga, par définition, peut nuire à cet aspect de l’univers de Lovecraft. Mais vous l’aurez deviné encore une fois, le jeu en vaut la chandelle. Maintenant que j’ai planté le décor pour savoir où on posait les pieds, attaquons-nous aux trames de ces deux nouvelles. Vous saurez pourquoi vous devriez déjà partir vers la librairie la plus proche !

 

La terreur des abîmes

Commençons par la première nouvelle. Faisant à peine une trentaine de pages, c’est une mise en bouche avant la seconde. Vous y verrez un marin s’étant échappé d’un navire grâce à un canot et s’apprêtant à vivre l’indescriptible. Après s’être endormi, son canot s’échoue sur un sinistre bourbier en pleine mer.

 

Il commence à parcourir ces terres qu’il pense être un plancher océanique remonté de la surface par forte activité volcanique. Cette soudaine mise à découvert pourrait bien comporter des secrets datant de périodes dont aucun se souvient.

 

Il rencontrera plus tard un bloc de pierre taillé lumineux dont les inscriptions font penser à des mythes et légendes perdues. Les reliefs représentent des créatures gigantesques et dont l’aspect n’a rien de connu. Au sommet de ce monolithe se tient un relief présentant sûrement le dieu suprême régnant sur les autres, à tête de pieuvre, que certains reconnaîtront…

 

La terreur des profondeurs

Après cela apparaît une créature que Lovecraft vous décrit difficilement, permettant aux lecteurs de tenter d’avoir une vague idée de son aspect. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’adaptation de Gou Tanabe, et donc sa vision subjective du monstre, n’altère en rien l’aspect horrifique de ce passage.

 

Premièrement, car les dessins et la technique sont parfaitement maîtrisés et réussis. Malgré ce support visuel, l’auteur arrive à transmettre toutes les émotions qui se dégage de ce récit glaçant, et de façon plus générale, de ce qui fait une œuvre de Lovecraft. Mais deuxièmement, l’aspect visuel du monstre arrive à retranscrire l’irréalité de son existence. Je ne pourrais même pas vous le décrire sans devoir prendre quelques paragraphes. Après, je peux aussi vous dire que c’est un gros poisson, mais ce serait pas lui rendre hommage…

 

Toute la puissance de cet œuvre (cette nouvelle et la suivante) se trouve en fait dans l’imagination. Les tomes précédents mettent en place des choses extraordinaires auxquelles les héros assistent, impuissants. Mais pour ce qui est de celui-ci, dans les deux nouvelles, on ignore si cela se passe vraiment, ou si les personnages sont en plein délire.

 

Notre marin file donc vers son canot et est retrouvé un peu plus tard. Après quatre mois dans le coma, il se perd dans la réalité. Il ignore si ce qu’il a vu est réel ou non, mais cela vaut aussi pour nous. Même le sort final de notre héros nous est que partiellement dévoilé. Il était peut-être déjà mort sur ce canot, lorsqu’il s’est endormi ce jour-là…

 

Celui qui hantait les ténèbres

Passons dès maintenant à la seconde nouvelle, bien plus conséquente et riche. Divisée en trois parties, elle vous présente l’écrivain et peintre Robert Blake, atteint du vilain défaut de la curiosité. Et sachez-le, quand vous vivez dans le monde de Lovecraft, vaut mieux rester chez soi.

 

Comme tout écrivain, il cherche de l’inspiration. À force d’admirer cette église, au travers sa fenêtre, qui l’intrigue par son aura de désolation et son côté sinistre, il se décide de faire de l’urbex et d’aller jeter un œil.

 

Sur le chemin, on lui fait bien comprendre que les églises abandonnées, maudites et anciennement occupées par des sectes sataniques, ne sont pas trop  des endroits à visiter. Il y résiderait encore un mal, caché au plus profond de cette église. En visitant cette église abandonnée, il y découvre un livre un peu particulier. Les plus férus de pop-culture devraient le connaître : une réplique du Necronomicon.

 

Il s’agit d’un ouvrage relié en peau humaine revenant de nombreuses fois chez Lovecraft, mais aussi dans de nombreuses autres œuvres. On peut quasiment parler d’un livre maudit qui invoque des démons et qui propage le mal, pour résumer. La couverture du manga m’a fait d’ailleurs penser à ce livre lorsqu’il apparaît dans l’histoire. Souple et semblable à du cuir, peu de mangas offrent ce genre de couverture.

 

Mais revenons à notre écrivain sans peur et sans reproche. Il découvrit par la suite une pièce entretenue (contrairement au reste de l’église) et qui comporte en son centre un socle doté d’une étrange pierre. Cette pierre lui montre des mondes inconnus peuplés d’humanoïdes mystérieux, et plus sombres que les ténèbres eux-mêmes. À ce moment-là, il se sent observé et comprend que quelque chose se cache dans le clocher de l’église.

 

Le début de la fin

Il reprend ses esprits et fuit illico, ce que tout le monde aurait déjà fait depuis bien longtemps. Malheureusement, après quelques recherches poussées, il se rend compte qu’en manipulant la pierre qui lui a donné des hallucinations, il est peut-être possible qu’il ait invoqué un être omniscient, rien que ça.

 

Cet être, surgi des noirs abysses du chaos, celui qui hantait les ténèbres, ne supporte pas la lumière. C’est quand même dommage pour un être omniscient ! Je vous laisse ensuite découvrir par vous-même la montée en pression de la nouvelle, quand l’être est maintenant éveillé et qu’il cherche à atteindre notre héros.

 

Après des pannes de courant et des bonnes doses de frayeur, on a un magnifique visuel d’une partie de la bête sortant en trombes du clocher. Quelques vaines tentatives du monstre se suivent, stoppées grâce à l’éclairage public qui reprend. Notre héros est de plus en plus terrifié. Il est sujet à des rêves des plus sombres, commence à faire du somnambulisme jusqu’à l’église et allume maintenant toutes les lumières chez lui.

 

Comme notre précédent héros, il perd pied avec la réalité. Les lecteurs ne savent plus si le héros rêve ou s’il est éveillé. Même ses crises de somnambulisme n’ont plus l’air réelles. Arrivera-t-il à survivre malgré tout à cet être omniscient ? Je vous laisserai découvrir la suite de Celui qui hantait les ténèbres.

 

celui qui hantait les ténèbres

 

L’imaginaire face au réel

Ces rapides explications des nouvelles ont, je l’espère, pu vous donner une vague idée de ce qu’est l’univers de Lovecraft et de la mythologie qu’il a installé, ayant aujourd’hui une place à part entière dans la pop-culture.

 

Là où se distingue cette œuvre, c’est par le fait que l’auteur arrive à nous rendre curieux, à l’image du personnage principal. Nous sommes à ses côtés, et comme lui, nous sommes d’abord fascinés puis intrigués, pour finir apeurés et terrifiés, par ce qui se cache dans les ténèbres. Les récits sont écrits à la première personne, et cela a son effet. La seconde nouvelle laisse le temps de poser la tension pour ensuite la voir monter inexorablement, tout le long du récit.

 

Mais là où Gou Tanabe a fait fort et a réussi à faire de cette adaptation, une œuvre plébiscitée par les fans du genre, c’est par sa gestion de l’imagination. L’imagination est au cœur des deux nouvelles, il s’agit même, en quelque sorte, du fil conducteur entre les deux histoires.

 

Où est la vérité ? Les monstres sont-ils réels ou sont-ils sortis de l’imaginaire de nos héros ? Tout est fait pour nous faire douter, car on ne sort jamais vraiment de l’esprit troublé des personnages. Pour renforcer le côté malsain de la chose, Gou Tanabe arrive à rendre réel l’irréel, sortant de l’univers de Lovecraft, et malgré certaines illustrations qui nous évite de devoir imaginer l’impensable par nous-mêmes.

 

Conclusion

L’auteur a su finalement bien retranscrire l’idée générale de Lovecraft : utiliser les peurs humaines de l’inconnu, de ce qui vient d’ailleurs, ou ce qu’on n’arrive pas à expliquer. Que ce soit l’espace, les abysses, les profondeurs de l’Antarctique, ou même l’obscurité, Lovecraft a matérialisé ce qui a toujours fait peur à l’Homme.

 

Enfin, il faut avouer que le dessin de Gou Tanabe en est aussi pour quelque chose. Il a été particulièrement habile pour créer cette ambiance effrayante, tout en proposant une narration fluide et des décors sublimes. Au vu de la courte durée des récits, il était nécessaire d’impliquer directement le lecteur dans le récit. C’est chose faite, rendant cette lecture intense et marquante.

Je ne peux que vous conseiller de plonger dans l’imaginaire tordu de Lovecraft adapté de façon terrifique par Gou Tanabe.

 

Après Celui qui hantait les ténèbres, n’hésitez pas non à aller découvrir à un autre de mes articles :

La Machine à explorer le temps : La Litto s’aventure dans le futur du passé