« L’attachement mène à la peur, la peur mène à la haine, la haine mène au côté obscur. »

Cette citation du très petit maître Yoda n’a jamais fait autant sens que lorsqu’on sort d’une séance de cinéma un 18 décembre 2019 et qu’on regarde les forums. Comme toutes les œuvres majeures de la Pop Culture, Star Wars possède une fanbase capable du meilleur comme du pire, mais surtout du pire. Attachés depuis quarante cinq ans à cette saga, les fans ne sont pas prêts à concéder un seul pouce de leur licence préférée à la nouveauté, et chaque génération nous amenant une nouvelle trilogie, chaque génération connaît un déluge de backlash.

Eh oui, nous parlons à nouveau de ce tristement célèbre phénomène que le backlash, déjà évoqué dans un précédent article sur Game of Thrones.

https://www.littosphere.net/single-post/r%C3%A9tablir-la-v%C3%A9rit%C3%A9-sur-la-saison-huit-de-game-of-thrones

Mais aujourd’hui est un nouveau jour ! Nous allons nous attaquer au grand écran, et parler postlogie Star Wars, pour répondre à cette terrible question : Qui est coupable ? Mais avant cela, une petite remise en contexte !

30 octobre 2012, bureau de Bob Iger, PDG de la Walt Disney Company.

Deux grandes figures de la scène cinématographique se rencontrent pour effectuer une transaction peu particulière. Bob Iger, et George Lucas, fondateur et président de Lucasfilm. C’est avec une poigne ferme que l’un cède son bijou, ses « bébés » comme il le dit, et l’autre, 4.06 milliards de dollars.

L’acte est signé : Lucasfilm est vendu à Disney. Kathleen Kennedy (retenez bien son nom et préparez les tomates au cas où) est nommée présidente de la société en charge de la franchise, et on annonce la préparation d’une suite au Retour du Jedi, une postlogie. En charge de chacun des volets : respectivement J.J. Abrams (Super 8, Star Trek, mission impossible), Rian Johnson (looper, à couteaux tirés) et Colin Trevorrow (Jurassic World).

Il ne convient pas ici d’analyser chacun des films dans leurs messages, les symboliques et la technique (et ce n’est pas l’envie qui m’en manque), mais plutôt de questionner la justesse de ce backlash au-travers une analyse de surface, répondre au minimalisme par le minimalisme.

 

Alors comment pouvons nous décrire ces trois épisodes ?

Star Wars VII : The Force Awaken (que nous appellerons communément TFA)

On nous avait annoncé un retour aux sources, mais pas un remake du tout premier volet A New Hope. Le film est construit en miroir de son prédécesseur, qu’il s’agisse du scénario, des personnages principaux ou encore des décors (y’a pas à dire, je rejoins les haters : Jakku c’est du forcing).

Star Wars VIII : The last Jedi (TLJ)

Changement de réalisateur, et pas des moindres : Rian Johnson veut s’affranchir des codes de la saga et proposer un film nouveau. Oui. Au milieu d’une trilogie. Et alors ?

Star Wars IX : The Rise of Skywalker (vous devinez donc que cela sera dorénavant TROS)

On retourne à l’ami J.J. – Lucasfilm a changé ses plans en cours de route – qui tente de rattraper sa trilogie et qui fait alors deux films en un. Résultat : je ne pensais pas voir un speedrun de RPG sur grand écran un jour

Cet état de fait étant posé, répondons à notre question : qui est coupable ?

 

Eh non, pas cette fois.

Très souvent, trop souvent, on entend simplement « Disney a fait de la merde, pas content ! ». En plus de l’incroyable bêtise de l’accusation, précisons qu’on blâme ainsi tout de même la première société cinématographique au monde, ce qui, somme toute, englobe un paquet de personnes. Qui est accusé ? Bob Iger, le patron de l’époque ? Lucasfilm racheté par Disney ? Les investisseurs ? Les réalisateurs ? Je réponds à ces anonymes sur la toile que toutes ces personnes nous ont également servi Rogue One, The Clone Wars saison 7 (et l’arc du siège de Mandalore holly crap !) ou encore The Mandalorian. Le problème est donc plus profond, plus complexe.

 

Dirigeons nous donc à la base du problème, c’est-à-dire l’absence de scénario. Sur une franchise pareille, Lucasfilm a décidé de foncer la tête dans le guidon avec une ligne directrice floue et très large, et de construire le scénario au fur et à mesure. Mieux, ils ont choisi pour cette tâche trois réalisateurs différents, avec chacun leur vision de la saga. Seulement, Colin Trevorrow fut remercié en septembre 2017 (soit trois mois avant la sortie de TLJ) après deux scripts refusés par Kathleen Kennedy (les tomates !). Il fut donc dégagé pour divergences artistiques. Voici là un problème qu’on retrouve beaucoup chez Lucasfilm depuis que Kathleen Kennedy est aux commandes. On pense notamment à Phil Lord et Christopher Miller, pareillement virés de Solo en juin 2017, soit moins d’un an avant la sortie du film. On se tourne alors vers KK, qui ne cesse de voir ses mandats renouvelés de 2012 à 2024 (certains ont été accusés de trahison envers la République pour moins que ça !). Bref : J.J. Abrams a pris le relai sur l’ultime opus de la saga. Et là, c’est le drame. En effet, quand le réalisateur du premier et troisième volet souhaite placer cette trilogie sous le signe de la nostalgie et que celui en charge du deuxième désire se détacher des codes de la saga, on ne peut attendre guère plus qu’un pet de lapin.

Nous allons donc parler plus en profondeur des défaillances des films, et laissez-moi vous présenter Billy, qui représente la tendance majeure des fans.

TFA (VII)

Voici un film critiqué pour son manque d’originalité, son héroïne peu intéressante et bien trop puissante. Son histoire et ses images sont presque copiées de A New Hope. En somme, la trilogie débute mal, les fans se divisent, mais l’engouement est toujours présent. Heureusement, Rogue One sort un an après et redore le blason de Lucasfilm.

Billy est mécontent.

TLJ (VIII)

Ce deuxième opus enfonce le clou en créant force incohérences dans la trilogie. Rian Johnson balance symboliquement le scénario de son prédécesseur en l’air dès le lancer de sabre (3 minutes après les crédits), et réalise un épisode sans une seule progression. Un tiers du film consiste en un arc inutile et inintéressant. On renie toutes les trames initiées dans TFA (les origines de Rey, Snoke, Luke Skywalker, la lutte entre la Résistance et le 1st Order…) pour le plaisir de dire non. Dans le milieu, on appelle ce phénomène du troll. Il s’agit là du film qui a le plus divisé, perçu comme la pire réalisation de Disney.

Billy pète un câble et crée un compte sur Reddit.

TROS (IX)

Abrams contre-attaque et tente de rattraper le retard. Privé de méchant, il réalise deux films en un, en faisant surgir de nulle part Palpatine (dans les crédits…) et une armée gigantesque. Certes, c’est très sympathique, entendre le rire de Ian Mc Diarmid à la Star Wars Celebration d’Orlando a suscité un bel engouement mais…. On remet en cause l’intérêt des six films, et avec (tant qu’à faire) la Prophétie introduite dans la prélogie. Anakin n’est pas l’élu. C’est…. Rey ? Oui ? Non ? On ne sait pas. Et puis on rattrape tous les arcs abandonnés dans TLJ, on fait enfin venir les chevaliers de Ren pour les tuer instantanément. L’OST, pourtant signant la fin de carrière de John William la couvre d’une teinte blafarde, sans même une musique iconique pour le duel qui changera la galaxie, ce qui est pourtant sa spécialité (A Jedi’s Fury, Duel of the Fates, Battle of the Heroes….).

Bref, Les défibrillateurs n’ont plus d’effet sur Billy.

Pourtant, tout n’est pas à jeter dans cette postlogie.

Parlons de Kylo Ren aka Ben Solo. La lutte entre les réalisateurs en ont fait LE personnage de cette trilogie. Depuis le méchant de façade qui se cherche après avoir été trahi par son maître à l’antagoniste principal, le leader, ou plutôt suprem leader, avant de connaître une rédemption et de mourir pour ses crimes afin de sauver celle qu’il aime, on nous a offert une des plus belles évolutions de personnage de la saga Skywalker. Ceci sans compter l’immense talent d’Adam Driver qui nous a livré de très belles prestations.

Visuellement parlant, nous avons eu le droit à de très belles images dans l’ensemble, Disney a envoyé tout ce qu’ils avaient pour que la trilogie soit belle, et admettons-le, c’est réussi. Les effets sont dans l’ensemble magnifiques. On peut trouver un paquet de raisons d’accabler Johnson, mais reconnaissons qu’il nous a donné le plus beau film de la saga. Je pense à la destruction du Raddus, une scène magnifique et dont l’intensité est parfaitement retransmise, à la bataille de Crait, à mon sens une des meilleures batailles grâce à l’identité de la planète et des couleurs (une planète de sel et des explosions rouges, quelle beauté !) qui n’est pas sans nous rappeler la bataille de Hoth avec l’usage des Marcheurs du 1st order. TROS, notamment au début, se défend extrêmement bien également visuellement parlant, notamment lors des deux premières séquences autours de Kylo Ren. Juste ciel !

Et les combats ! Bien que controversés (notamment la toute-puissance de Rey dès TFA et l’absence de duel au sabre laser dans TLJ), les combats de la postlogie ont eux aussi leur identité. Si la trilogie originale montre les mouvements simples et techniques et que la prélogie nous offre des moulinets à outrance mais excessivement classes, cette trilogie propose des coups d’une rare violence, tous portés pour tuer, et qui retranscrivent parfaitement les sentiments des personnages qui n’hésitent pas à succomber à la colère.

 

Parlons du seul ajout de Johnson exploité par Abrams. Chaque trilogie nous en apprend davantage sur la Force. La prélogie nous a initié à la notion de midichloriens, la postlogie, elle, introduit la dyade de Force. Elle arrive quand deux êtres sont très liés par la Force. Cela donne lieu à une relation particulière et des plus intéressantes entre Rey et Ben, intimement liés contre leur gré, et à des séquences oubliées des haters, pourtant magnifiques, comme leur premier duel dans TROS.

Enfin la musique. John William nous gâte dans TFA avec la marche de la résistance, Jedi Steps, mais surtout le thème de Rey, un des plus harmonieux de la saga. TLJ cultive ces thèmes, développe Jedi Steps grâce au thème d’Arch To, et introduit un joli thème pour Rose, personnage dont l’inutilité n’a d’égal que la haine qu’elle suscite. En revanche, à part A New Home, l’OST de TROS est largement décevante, surtout quand son trailer offre une musique aussi époustouflante qu’épique.

En somme, nous avons ici une trilogie qui dès sa préparation ne pouvait fonctionner, dans laquelle chaque film se marche dessus, et qui n’a su choisir entre se trouver une nouvelle identité et conserver celle de la trilogie originale.

Alors qui est coupable ? Disney qui contraint le studio à un rythme effréné ? KK qui vire tous ceux en désaccord avec sa vision, y compris George Lucas ? Les réal qui déchirent la licence à imposer leur vision de la saga ?

Si tous ont leur part de responsabilité, les principaux coupables ne sont autre que les fans, devenus haters. Eux, qui ont boycotté les films sans arguments fondés, eux qui sont aussi absolus. Mais il faut relativiser le bide de la postlogie. N’oublions pas l’accueil de la prélogie, du moins de ses deux premiers films, qui furent détestés à leur sortie. Aujourd’hui, grâce à ROTS et à cette ultime trilogie, la prélogie est idolâtrée, si bien que l’ère de la Guerre des Clones est la préférée des fans (en rude compétition avec celle de l’Ancienne République). Laissons-les donc s’adonner à des négociations musclées, et le temps fera son affaire. On sait que Lucasfilm tient à nous proposer pléthore de projets, à commencer par la très attendue série Kenobi, sur nos écrans le 25 mai prochain ! Fan Service ou futur chef d’œuvre ? La litto sera là pour votre plus grand plaisir !

 

 

Nicolas Balter