17 juillet 1955, Anaheim, Californie. Alors qu’une longue file d’attente se crée aux abords du parc, les premiers visiteurs déambulent dans les allées de la toute nouvelle création de Walt Disney : Disneyland. En cette chaude journée d’été, l’asphalte posée la veille sur le bitume n’a pas eu le temps de sécher par endroits, et les talons aiguilles des femmes s’enfoncent dans le sol. Les fontaines à eau ne sont pas encore fonctionnelles, car Disney a dû privilégier l’alimentation en eau des toilettes. L’attraction Mr Toad tombe en panne de nombreuses fois. Le bateau Mark Twain manque de couler, à cause du nombre trop important de personnes à son bord. Les ingénieurs soudent à la hâte les fissures qui apparaissent sur l’attraction des tasses tournantes au fur et à mesure de la journée. Le parc, pour sa journée d’ouverture, devait accueillir six mille visiteurs. Douze mille personnes supplémentaires ont forcé l’entrée du parc. Cette journée est une catastrophe. Pourtant, l’émission censée couvrir l’événement sur ABC masque les dégâts. Malgré un lancement assez désastreux, le public répond présent les jours et les mois suivants. Ainsi, le 8 septembre 1955, le parc accueille son millionième visiteur. Le 31 décembre 1957, la fréquentation du parc franchit la barre symbolique des dix millions de visiteurs. Le succès est en marche. Mais à qui revient le succès de ce parc et de ses frères qui verront le jour au cours des décennies suivantes ?

« Il était une fois les Imagineer » invite, pendant six épisodes d’une heure, à visiter les coulisses des parcs et des attractions Disney réparties autour du globe. Depuis l’ouverture du premier Disneyland à Anaheim (Californie) en 1955, jusqu’à celle de Disneyland Shanghai (Chine) en 2016, cette série « made in Disney + » vous fera découvrir l’histoire, la chronologie et les secrets de fabrication de ces lieux où la magie est reine. Afin de repartir ses épisodes, « Il était une fois les Imagineer » s’appuie sur les changements, les événements importants auxquels a dû faire face la firme aux grandes oreilles. Cela ajoute de la profondeur à ce documentaire déjà très riche, et offre une excellente initiation à l’histoire et à la culture Disney. Par ailleurs, il est essentiel de noter que la série est réalisée par Leslie Iwerks, la petite-fille de Ub Iwerks, co-créateur de Oswald le Lapin Chanceux et de… Mickey Mouse !

Mais déjà, qui sont les Imagineers ? Le terme a été inventé par Disney. Il regroupe l‘ensemble des personnes (artisans, décorateurs, ingénieurs, scénographes, maquettistes…) travaillant sur la conception des parcs Disney. Le mot est une contraction des termes « Imagination » et « Engineer », deux atouts phares de la profession. Ils sont les véritables acteurs de ce documentaire. Pendant plus de six heures, leurs témoignages inédits démontrent l’importance qu’ils ont dans l’élaboration de ces mondes remplis de rêve et de magie. A les entendre, le plus important chez Walt Disney Imagineering est de savoir repousser les limites de la technologie et du divertissement, de ne jamais se reposer sur ses acquis, et d’avoir une âme d’enfant, afin de concevoir des espaces où petits et grands pourront s’évader, en adéquation avec la vision initiale de Walt Disney. Au travers d’interviews et d’images jamais dévoilées, la série présente les Imagineers comme les artisans du rêve, les petites mains de l’ombre qui puisent dans de nombreuses disciplines artistiques et techniques afin de concevoir les parcs. Walt Disney le disait ainsi : « Disneyland ne sera jamais achevé tant qu’il restera un peu d’imagination en ce monde ». Comme nous allons le voir, c’est on ne peut plus vrai.

Walt Disney posant devant le château de la Belle au Bois Dormant

Ainsi, la série commence par dévoiler les coulisses de l’ouverture du premier parc Disneyland, en 1955. L’épisode revient sur l’implication de Walt Disney dans la conception de ce projet titanesque, à travers, entre autres, la mise en place d’une émission de télévision présentée par lui-même quelques mois avant l’ouverture du parc, afin d’en faire la promotion. Il s’adresse alors directement aux spectateurs et dévoile les futurs attractions et le découpage par secteur (« lands ») du parc. Le premier épisode nous fait découvrir l’élaboration de Pirates des Caraïbes, ou de It’s a Small World, des attractions encore fortement appréciés aujourd’hui. Les balbutiements de l’équipe d’Imagineer en charge de la conception des animatroniques, ces automates entièrement autonomes, fait figure de petite révolution technologique à l’époque. Comme le souligne un des concepteurs du parc, « tout cela fut fait avant même l’invention de la photocopieuse ! ». L’épisode s’achève également sur la disparition de Walt Disney à l’âge de 65 ans, avant l’ouverture du deuxième grand projet qui lui tenait à cœur : EPCOT, une ville futuriste utopique. Ce premier épisode est assez émouvant, et souligne bien l’incroyable implication qu’eut Walt Disney dans la conception, la création et la promotion de Disneyland, ce projet fou qui lui tenait tant à cœur.

À la suite de la mort de Disney, les équipes ne savent plus vraiment quoi faire. Le grand patron de l’entreprise savait quelle énergie insuffler à ses équipes afin de leur donner une ligne de conduite. Sans lui, ces dernières semblent perdues. C’est le frère de Walt, Roy Disney, qui prend les choses en main. Le projet EPCOT ne vit pas le jour sous la forme d’une ville, mais fut intégré en tant que « land » au deuxième parc en construction au début des années 70 : Walt Disney World, en Floride. La série développe ainsi la conception de ce deuxième « Magic Kingdom », pour se diriger ensuite vers les années 80, et l’arrivée de Michael Eisner à la tête de la compagnie. Survient alors un problème : l’édulcoration des faits. Le documentaire prend la peine de souligner les périodes « noires » de l’entreprise, entre grèves et disparitions de figures importantes, mais ce n’est jamais très approfondi. La « recette Disney » s’applique également à cette série, qui insiste sur le magique et le merveilleux, mais qui passe sous silence certains faits qui furent plus complexes qu’il n’y paraît. Il n’est aucunement fait mention de la présidence d’Eisner, qui fut une véritable catastrophe économique et créative pour l’entreprise après la mort de Frank Wells, qui parvenait à tempérer Eisner, et dont il était associé à la tête de l’entreprise. De plus, la réticence et la lutte des agriculteurs français de Marne-la-Vallée à l’annonce de la création d’un parc Disneyland près de Paris est vite passé sous silence, comme si cela n’avait pas été très important. Toutefois, la série insiste bien sur la difficulté qu’a rencontré ce parc, et d’autres, à devenir rentable une fois ouverts. De nombreux projets Disney furent boudés par le public, car manquants d’inspiration et d’implication de la part des équipes, souvent muselés par des dirigeants qui ne savaient pas comment allier ligne de conduite et autonomie. Mais, comme dans tout conte qui finit bien, la série insiste sur le fait que ces projets ont un jour été repensés plus intelligemment, et qu’ils attirent aujourd’hui des millions de visiteurs. A croire que rien ne se perd chez Disney.

Une Imagineer travaillant sur l’attraction de Blanche-Neige et les Sept nains

Enfin, la série retrace l’histoire de Disney sous la présidence de Bob Iger, depuis 2004. Iger a tenté, comme Eisner avant lui, de marquer sa présidence par l’ouverture d’un nouveau parc dans le monde. Il choisit la Chine, et plus précisément Shanghai. Après des années de négociation avec le gouvernement chinois, c’est chose faite, et le parc ouvre en 2016. La encore, c’est un succès. La série insiste sur l’importance qu’accorde Disney au marché et à la culture sur laquelle il vient s’installer. Pour son parc près de Paris, le château de la Belle au bois dormant est inspiré, dans sa forme, du Mont Saint-Michel et des châteaux de la Loire par exemple. Par la suite, la série retrace les nombreux achats de franchise entrepris par Iger sous sa présidence (Pixar, Marvel, LucasFilm…), et qui sont autant de nouveaux thèmes pour de futures attractions.

En conclusion, cette série est indispensable pour quiconque veut découvrir en profondeur les coulisses de ces lieux magiques. Elle est très instructive, novatrice, et suffisamment dynamique pour qu’on ne voie pas le temps passer. Elle est originale, car le travail des Imagineers ne s’est pas seulement concentré sur les parcs, mais aussi sur d’autres projets, comme lors de l’entrée de Disney dans le marché des croisières dans les années 80. « Il était une fois les Imagineer » présente, à raison, les parcs Disney comme des espaces enchantés qui font rêver petits et grands, de véritables bulles hors du temps et de l’espace. En témoignent la hausse de la fréquentation de Tokyo Disneyland après le tsunami de 2011 et le témoignage d’un Imagineer : « Après une fermeture d’un mois, un mois et demi, nos visiteurs sont revenus en nombre. Les gens couraient pour prendre Mickey dans ses bras, et le remercier. Voilà, c’est à ça qu’on sert. ». C’est une série parfois émouvante, relatant une grande aventure vécue par une grande famille d’artistes et d’artisans, qui se transmet de génération en génération. C’est une belle histoire d’amour qui unit Disney à ses Imagineers, et il n’existe pas de meilleure définition que celle donnée par la série elle-même lors du dernier épisode pour qualifier leur influence et leur travail : « Depuis près de 70 ans, les Imagineers cultivent une idée toute simple, née de l’esprit d’un seul homme. Aujourd’hui, ils en ont fait un phénomène culturel : douze parcs d’attraction répartis aux quatre coins du monde. Ils continuent de tout faire, pour maintenir l’équilibre entre la tradition et l’arrivée constante de nouveaux personnages et de nouvelles histoires. L’œuvre d’un Imagineer n’est jamais terminée, tant que dans son imagination cette question continue de résonner : …et si ? ».

Théo MOREL, 15/02/2021