Lire les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (qui sera ici abrégé en Alice) ou découvrir une de ses adaptations sans rien connaître de l’œuvre nous place face à un univers qui parait fou. Tout semble débordant de vie, d’une activité incessante, chaque personnage est un bavard incorrigible et tous leurs discours sont des flots inarrêtable. Ils veulent sans cesse dialoguer, sans toujours donner l’impression d’écouter la pauvre enfant, ou en l’écoutant trop bien pour jouer sur les mots, au grand dam de la jeune touriste. Alors, est-ce cela Alice ? Un monde sans ordre ? Aussi étrange qu’attrayant ? Du genre « trop perché », ou accessible seulement aux plus fous d’entre nous et aux petits génies ?

 

 

 

 

 

Par une simple constatation on pourrait répondre que non, à la vue de sa popularité, Alice a de nombreux fans, elle semble parler à un public bien plus large que prévu. Pour vous en convaincre essayez de voir toutes les adaptations ou œuvres inspirées d’Alice (comme l’excellent manga Pandora Hearts), il y en a un nombre colossal. Et, véritablement, cette œuvre a été adaptée sous un nombre impressionnant de formes : film, dessin animé, film en stop-motion, comédie musicale, théâtre… (et même film muet, ballet ou patinage artistique…. Et adapter Alice dans un format qui rend difficile les dialogues c’est un peu comme faire un gâteau au chocolat avec seulement de la grenadine et de l’eau : le résultat peut être bon et plaisant, mais ce n’est pas vraiment l’idée de départ). Notons également que souvent ces adaptations s’intéressent à l’univers d’Alice pour la « folie » qu’il représente.

Cette critique aura pour simple but d’essayer de mieux comprendre l’idée que transmet Alice, pourquoi a-t-elle été écrite ? Et pourquoi est-elle reconnue aujourd’hui ?

 

Paradoxalement, pour comprendre l’œuvre d’Alice, il serait vain de lire et relire l’œuvre sans cesse. Le point de départ le plus éclairant est la connaissance de son origine, sans cela, ce serait comme d’entendre ou de lire une private joke, vous ne comprendriez pas son intérêt. Alors, venez, je vous emmène, non pas dans le terrier du lapin, mais dans la confidence de la naissance d’Alice : Pour cela, il faut d’abord connaître a minima son auteur.

 

 

« Fous ? La plupart des gens biens le sont !!! »  Ouais mais pas l’auteur en fait. (et cette citation trop connue est jolie mais n’existe pas dans Alice btw).

 

 L’homme derrière le pseudonyme de Lewis Carroll est le professeur Charles Dodgson. Né dans le comté du Cheshire, (oui, voilà d’où le fameux chat tire en partie son nom), il enseigne les mathématiques à Christ Church (entre autres l’un des collèges les plus réputés mais aussi le lieu de la Grande Salle d’Harry Potter). Pour avoir en tête quelques faits sur notre homme : il est notamment l’inventeur de la condensation de Dodgson, une méthode mathématiques de calcul concernant l’évaluation des déterminants des matrices carrées, et il a amélioré la méthode de Condorcet dans le domaine des probabilités, sur lequel repose le système de votes de la démocratie délégative. Je vous épargne les noms de la dizaine d’ouvrages mathématiques et de logique qu’il a écrit et de la vingtaine d’œuvre littéraire pour seulement souligner celle de What the Tortoise Said to Achilles, où il joue de la logique, dans ce court récit de 3 pages, et notamment des propositions fondamentales de la logique énoncées dans le livre I des Éléments d’Euclide comme « deux choses égales à une autre sont égales entre-elles » « deux côtés de ce triangle sont égaux à un autre» pour arriver à « ces deux côtés sont égaux ».

              L’idée que je veux vous transmettre est que Charles Dodgson est familier avec la logique, aime jouer avec elle et apprécie tout autant les jeux des mots, il conclue d’ailleurs sa démonstration de What the Tortoise Said to Achilles par deux jeux de mots…allez-le lire ! Bref, on commence déjà à mieux saisir certains passages d’Alice, le poème chanté par le Chat de Cheshire dans l’adaptation Disney « Fleurpageons ; Les rhododendroves ; Gyraient et gygemblaient dans les vabes … » constitués de nombreux mots-valises. Ce ne sont donc pas des mots dépourvus de sens, mais de nouveaux mots constitués de plusieurs autres. Ce chant est d’ailleurs nouvellement traduit du poème Jabberwocky qui apparaît dans De l’autre côté du miroir, et est en partie expliqué au chapitre 6 par Gros Coco/ Humpty-Dumpty. Voyez-donc : Alice n’est pas dépourvu de logique ou de sens, l’auteur s’amuse simplement à les inverser ou les tordre… mais pourquoi donc ? Pour comprendre cela, tournons-nous vers la célèbre, et la vraie : Alice !

 

 

« Toi ! s’exclama la Chenille sur un ton de mépris. Qui es-tu, toi ? » Chapitre V des Aventures d’Alice au Pays des Merveilles.

 

La photo la plus célèbre d'Alice Liddell, déguisée en mendiante. Photo prise par Charles Dodgson lui-même.

Dans le dernier chapitre de De l’autre côté du miroir, qui est le deuxième volume des aventures d’Alice, un poème en acrostiche fait apparaître avec les premières lettres de chaque vers : Alice Pleasance Liddell. Ce nom est celui d’une jeune fille que connaissait Charles Dodgson et, si vous êtes perspicace, vous aurez remarqué que notre héroïne partage son prénom.

Alice Liddell est l’une des filles du doyen de Christ Church, l’une des écoles les plus prestigieuses, c’est donc dans cette école que notre auteur aurait rencontré la jeune fille. La famille Liddell était une partie de la haute sphère de la société. Le grand-oncle, d’Alice, Thomas Liddell, portait le titre de 1er baron Ravenworth, son grand cousin, Henry Liddell celui de premier comte de Ravensworth, et son arrière-grand-père était Lord Ravensworth et baronnet. Nous sommes donc dans la deuxième partie du XIXe siècle et cette Alice Liddell, ainsi que ses sœurs Lorina et Edith disposent de la meilleure éducation de la société victorienne.

 

De même, dans l’histoire contée par Lewis Carroll, notre protagoniste Alice fait attention aux bonnes manières, ou essaye d’y faire attention, et sa classe sociale se voit notamment par la façon dont elle décrit une de ses amies qui apparaît moins aisée qu’elle « Je ne suis pas Mabel non plus, j’en suis sûre, car je sais tout un tas de choses et elle, oh, elle ne sait pour ainsi dire rien ! […] Je dois être Mabel en fin de compte, je vais devoir aller vivre dans cette maisonnette de rien du tout, me passer de jouets à peu de choses près, et me trouver devant tant de leçons à apprendre ! » Chapitre II. De manière générale Charles Dodgson marque dans son récit, la différence entre les classes sociales des personnages. Donnons ici une pensée à « Bill, le pauvre petit lézard », un pauvre ramoneur qui sert est tourné en ridicule durant tout le chapitre IV et de qui Alice pense « Ma parole, ils ont l’air de tout lui flanquer sur le dos, à Bill ! Je ne voudrais pas être à la place de Bill pour tout l’or du monde ». Et pourtant, même Alice, qui se fait généralement plus embêtée que respectée dans notre histoire, décoche un « violent coup de pied » au petit lézard. (Le coup n’est pas donné gratuitement, mais tout comme l’expression peu soignée de Bill qui fait beaucoup d’erreurs de langages, tout cela vise à amuser les petites filles victoriennes).

 

Si j’ai pris la peine de vous présenter Alice Liddell ce n’est pas pour vous montrer toutes ses ressemblances avec notre héroïne, car, elles ne sont finalement pas des copies conformes, mais je me devais de vous amener à cette anecdote plus que célèbre :

 

 

Une promenade saugrenue et une longue histoire – ou comment improviser un best-seller juste pour amuser la galerie.

 

Le 4 Juillet 1862, Charles Dodgson et le révérend Duckworth emmènent Alice et ses deux sœurs pour une promenade en barque. Dodgson connait Alice et ses sœurs depuis 1856 et ont l‘habitude de passer des après-midi ensemble où le professeur les amusent par des devinettes, des histoires inventées, des jeux ou en prenant le thé… et justement, les jeunes filles lui réclament une histoire lors de la traversée en barque, histoire qui, vous l’avez deviné, sera le premier squelette d’Alice. Pour cette raison, le 4 Juillet est considéré comme le jour d’anniversaire de l’oeuvre, mais il ne faut pas parler d’ « Alice Day » car ce nom fait référence à tout autre chose : une fête que se sont créés les pédophiles, pour le jour symbolique du 25 avril, la rencontre entre Charles Dodgson et Alice Liddell. je mentionne cela pour souligner le flou des relations que l’auteur entretenait avec nombre de petites filles, ses « child-friend ». L’objet de cet article n’est pas de lever le voile sur cette affaire, mais je ne voulais pas passer cela sous silence. Je vous invite donc à vous renseigner sur le sujet par vous-même, et vous propose de reprendre l’étude d’Alice en relevant un élément qui pourrait -une nouvelle fois, mais en bien- vous surprendre

Pour les amuser, notre cher professeur improvise donc une histoire pleine de non-sense, de discussion sur la logique et y insère…des blagues. Eh oui, même si cela n’est -vraiment- pas évident à première vue, Alice contient bien des blagues pour enfants, et si vous ne les avez pas saisies c’est essentiellement pour deux raisons :

 

Une capture d'écran de mauvaise qualité de la comédie musicale Alice in Wonderland Jr interprétée par la Oliver Middle School en 2014

Certaines des blagues ne vous sont tout simplement pas adressées. Par exemple, très simplement : la chatte « Dinah » que notre héroïne semble adorer, existait réellement et appartenait effectivement à Alice Liddell. Une autre référence plus subtile est lors du chapitre III, où Alice rencontre un Canard, un Dodo, un Lori et un Aiglon, cela représente en fait les personnes présentes lors de cette promenade en barque : Duck-worth pour le canard, le Dodo pour Dodgson, le Lori pour Lorina Liddell et l’Aiglon (Eaglet en anglais) qui se veut proche phonétiquement d’Edith, autre soeur d’Alice. Et  si la Reine de Cœur criant « Off with your head » ne vous a jamais amusé, il est pourtant probable que cela ait fait esquisser plus d’un sourire aux petites filles qui y reconnaissaient leur gouvernante Miss Prickett donnant l’ordre le plus redouté pour tout enfant « go to your bed ». (Ce dernier point n’est qu’une interprétation de Robert Douglas-Fairhurst dans The Secret World Of Lewis Carroll deTimeline, mais j’apprécie particulièrement cette idée et la trouve particulièrement éclairante, je vous la partage donc). 

De même si vous ne vous êtes pas bidonnes en lisant le nom des cours que suivait la Simili-Tortue « Mystery », « Seaography », « Drawling », « Fainting in Coils »; « Laughing » et « Grief »c’est simplement parce que vous n’êtes pas -je crois- une petite fille victorienne appartenant à la haute société qui s’amuse de retrouver détournés en calembours le nom de ses cours obligatoires qui correspondent donc à « History », « Geography », « Drawing », « Painting in Oils », « Latin » et « Greek ». Ou encore les nombreuses comptines détournées tout au long du récit comme  » Will you walk into my parlour ? said the spider to the fly » qui devient « Will you walk a little faster ? said a whiting to a snail » au chapitre X, qui devaient beaucoup amuser les jeunes filles, mais dont la référence est totalement inconnue au public français. Charles Dodgson improvisait l’histoire d’Alice et y glissait donc des private jokes. Ce n’est que parce qu’Alice Liddell a insisté pour qu’il mette l’histoire par écrit qu’il le fit, mais son histoire était d’abord construite pour ses trois amies.

 

 

 

J’espère donc que, même sans vous avoir parlé du scénario d’Alice, vous comprenez ou imaginez mieux son univers, non pas comme un univers trop fou, ni d4rk ni comme une classique histoire pour enfants, mais plutôt en tant qu’histoire improvisée pour amuser des petites filles de la haute noblesse qui aiment s’amuser de la logique et du monde des adultes. Le tout, évidemment dénué de morale basique comme quoi croire en l’impossible permet à une gentille héroïne de tuer un méchant Jabberwock par exemple, laissons cela a d’autres, car, pour mieux comprendre cette histoire, peut-être faut-il faire attention à cette ligne du chapitre IX « Peut-être qu’il n’y a pas de morale à en tirer, risqua Alice » .

 

Quelques fun facts pour clore cet article  : 

 

Alice Liddell, qui a inspiré et donné son nom à l’héroïne, ne ressemble pourtant pas à L’image de jeune fille blonde à robe bleue, popularisée par les dessins de John Tenniel.

Il s’est plus probablement inspiré de Mary Hilton Badcock, une autre amie de l’auteur. 

Ce qui est souvent retenu d’Alice est son manque de sens car Alice est sans but défini.

En revanche, dans la suite De l’autre côté du miroir, Alice cherche à devenir reine.

 

Pourquoi un corbeau ressemble à un bureau ? A l’origine, sans solution, notre auteur Lui en trouva une à cause des nombreuses lettres qu’il reçut à ce sujet. Voici ce qu’il Ecrivit pour répondre à cette devinette posée par le Chapelier : « because it can produce A few notes, tho they are very flat ; and it is nevar put with the wrong end in front ! « 

Soit « parce qu’il peut produire quelques notes, bien que très plates, et il est jamais mis Avec la mauvaise extrémité devant ». Le cri du corbeau produit des sons mais ces Notes peu agréables sont donc plates. Travailler ou écrire à un bureau revient aussi à Créer des notes. Et mettre la mauvaise extrémité de « raven » devant, le lire à l’envers, Equivaut effectivement à « nevar ». 

 

L’origine du pseudonyme de Dodgson vient de ses deux prénoms Charles et Lutwidge, 

Il les traduisit en latin Carolus Ludovicus, puis les inversa et anglicisa en Lewis Carroll.

Dodgson innovait dans de nombreux domaines, il inventa le jeu de l’échelle de mots, ou Doublet, proche du futur scrabble ; était reconnu pour son talent de photographe ; Est l’inventeur du Castel Croquet; et il illustra lui-même Alice’s Adventure Under Ground, La première version d’Alice, où le Chapelier et le fameux Chat n’existaient pas encore.

L’acrostiche qui clôt Through the Looking-glass. fait apparaître Alice Pleasance Liddell.