Pour la première fois de son histoire, la Bibliothèque Nationale de France dédie une exposition à un artiste étranger. Et surprise, c’est un auteur de littérature fantastique a qui on fait cet honneur. Pas un des moindres bien sûr, puisque c’est Tolkien, père de la fantasy moderne, qui s’expose jusqu’au 16 février à la Bibliothèque François Mitterrand.

Sur plus de 1000m², on arpente l’immense toile que Tolkien a tissé, l’œuvre d’une vie qui en a touché tant d’autres, protéiforme, inégalée, à la fois connue de tous et toujours mystérieuse.

 

  • Un univers entré dans la culture populaire

     

Malgré un succès tardif, le créateur de la Terre du Milieu a fortement influencé le genre littéraire de la fantasy. Son œuvre a hissé le genre, auparavant complètement ignoré, au-delà de son public restreint et a su intéresser la société. On citera notamment les très célèbres films de Peter Jackson, le film biographique Tolkien, la série Amazon en 2021… Bien que réussies et relativement fidèles, ces adaptations ne permettent malheureusement pas de prendre conscience de l’immense richesse de l’univers de l’auteur. D’ailleurs, aucune allusion aux adaptations cinématographiques ne sera faite lors de l’exposition, ce média est complètement dédaigné.

La BnF appose sa marque à l’exposition, lui donnant un caractère plutôt scientifique : elle se penche sur le processus de création et se concentre sur les sources d’inspirations de l’auteur.

 

  • Au fil de l’expo

     

Le parcours de l’exposition commence par des escales dans des lieux emblématiques en Arda (Monde de la Terre du Milieu). Des scènes champêtres de la Comté, illustrées par des cartes et aquarelles inspirées de l’Angleterre, aux noires contrées du Mordor, jusqu’en Valinor, là où résident les créateurs du monde, les Valar. Chaque lieu est abordé avec une problématique unique, étudiée sous des angles littéraires, culturels ou linguistiques.

L’impressionnante quantité d’originaux fournis par les partenaires de l’exposition nous permet une immersion totale dans la création de cet univers et de ses sources. Les pages manuscrites gribouillées de cartes, les aquarelles soignées et les lourds volumes de mythes médiévaux nous permettent de comprendre comment, pas à pas, la légende s’est créée.

N’importe quel Français serait bien évidemment perdu par tant de références anglo-saxonnes, celtes, nordiques… La BnF fournit un travail fabuleux, présentant les ouvrages sources et expliquant en quoi ils ont inspiré l’œuvre fantastique, et marqué la carrière de l’auteur.

Quittant Arda, l’exposition nous emmène en Angleterre, à Oxford, où Tolkien a passé la quasi-totalité de sa vie. On aborde ici ses autres travaux et écrits, mais également sa vie personnelle. Photos, extraits audio, interviews, on arrive enfin à placer un visage sur cet auteur devenu légende. On découvre un homme plein de vie, malicieux et humble. La partie la plus étonnante de l’exposition est la vitrine consacrée aux Lettres du Père Noel, écrites et dessinées pour ses enfants.

 

 

 

If you really want to know what Middle-earth is based on, it’s my wonder and delight in the earth as it is, particularly the natural earth. – J. R. R. Tolkien

 

  • La création d’une mythologie moderne

     

Professeur de littérature médiévale anglo-saxonne et de philologie à Oxford, Tolkien était également poète, traducteur et romancier.

Tolkien était attristé par le manque de légendes strictement anglo-saxonnes. Sa passion pour les langues, et son désir d’écrire pour ses enfants, le pousse à entamer la formation d’un des univers fantastiques les plus importants de notre époque.

Ce qui parait surprenant, c’est qu’il brode son univers autour des langues qu’il créé. C’est ainsi qu’il a fait naître pas moins de 50 langages, ainsi que leurs dialectes, peuples et leur culture. « Les récits furent imaginés avant tout pour constituer un univers pour les langues et non pas le contraire », a-t-il écrit. Artiste prolifique, son œuvre en prose est complétée par une multitude d’aquarelles, de cartes, d’arbres généalogiques et de poèmes.

Son œuvre est la combinaison d’études savantes, d’une imagination grouillante et d’un talent créatif puissant. Sa volonté de cohérence dans son œuvre le pousse toujours plus loin, toujours plus profond dans l’élaboration des détails de son monde. Le Silmarillion, œuvre inachevée publiée à titre posthume, en est l’imposant exemple, et la source principale de l’exposition.

 

  • Le Silmarillion : la bible inachevée d’Arda

     

Je ne recommande pas la lecture de cet ouvrage aux néophytes. Pour vous donner une petite idée du morceau, l’histoire du Seigneur des Anneaux est résumée en 2 paragraphes du dernier chapitre ! La lecture est certes passionnante, mais devient rapidement laborieuse, beaucoup de chapitres sont brouillons ou pas assez dynamiques, déconstruits. L’ouvrage est pourtant essentiel pour les fans car il explique la création du monde, et toute l’histoire de son univers jusqu’à la fin du Seigneur des Anneaux. Le livre est de qualité mitigée car laissé inachevé suite à la mort de l’auteur, puis recompilé par son fils à partir de différentes ébauches. Il est donc regrettable mais normal que beaucoup d’imprécisions planent sur certains passages.

 

“It is written in my life-blood, such that it is, thick or thin; and I can no other.” – Tolkien à propos du Seigneur des Anneaux.

 

 

  • Un Age d’Or révolu : la lutte contre l’empreinte du temps, la mort

     

Ne vous méprenez pas, le thème central de l’œuvre de Tolkien n’est pas la lutte du Grand Méchant contre les gentils, du Bien contre le Mal. On pourrait plutôt qualifier ces textes d’une longue défaite du Bien. Les victoires arrachées aux représentants du Mal se font toujours au prix de pertes dévastatrices, dont le monde ne se remet jamais tout à fait.

De son vivant, Tolkien a été très marqué par la perte de ses proches. Orphelin très jeune, marqué par la guerre qui lui a arraché nombre de ses amis, son œuvre est le reflet de sa vie. Chaque Age de la Terre du Milieu n’est qu’une ombre du précédent, teintée d’une nostalgie de plus en plus écrasante, un sentiment de perte, la lente approche de la mort. La mélancolie des Elfes, le deuil des Ents, le déclin des Nains, la corruption des hommes… tous ces sujets éloignent l’oeuvre d’une simple fable et ancrent l’univers dans notre réalité.

 

 

 

 

 

Si vous ne pouvez pas faire un saut à Paris d’ici mi-Février, je vous conseille l’album de l’exposition (40€) qui compile la plupart des problématiques, objets et textes vu pendant l’exposition.

 

 

 

 

Though here at journey’s end I lie in darkness buried deep, beyond all towers strong and high, beyond all mountains steep, above all shadows rides the Sun and Stars forever dwell: I will not say the Day is done, nor bid the Stars farewell.

 

 

Though here at journey’s end I lie in darkness buried deep, beyond all towers strong and high, beyond all mountains steep, above all shadows rides the Sun and Stars forever dwell: I will not say the Day is done, nor bid the Stars farewell.