« Attention à ne pas garder la mauvaise habitude de dire la vérité dans un pays où personne ne dit ce qu’il pense »

 

 

Lors de mon départ en université partenaire au Japon, on m’a offert le roman autobiographique « Stupeur et Tremblements », d’Amélie Nothomb.

« Lis-le une fois arrivée là-bas, quand tu découvriras la face cachée du Japon ! » Je parcours rapidement la quatrième de couverture – empreinte de désillusions nippones- et range l’ouvrage. Il est vrai que j’ai fait mes valises en rêvant d’un Japon idyllique, mêlant avec un charme unique son univers traditionnel et son penchant futuriste.

Je n’ai pas été déçue, le Japon a comblé toutes mes attentes, mais j’avais tout de même sous-estimé la difficulté d’un « Gaijin » (personne étrangère) à s’intégrer dans la société nippone. Ça commence par des regards détournés, des sièges laissés vacants à côté de soi dans le métro, des refus à l’entrée de certains établissements… Rien que pour des simples étudiants, il n’est pas facile de se fondre dans la masse. La maîtrise du japonais ne nous sauvera pas : « Etranger » est écrit sur notre visage.

Je me souviens alors de ce livre, abandonné sur mon bureau entre des feuilles de cours et Le Routard. J’ouvre le roman et le lit d’une traite.

 

 

Amélie est belge mais a vécu au Japon durant sa petite enfance. Fascinée par le pays du Soleil Levant, elle y retourne pour travailler en tant qu’interprète au sein d’une entreprise japonaise réputée. En bas de la hiérarchie très stricte, elle est aux ordres de tout le monde. Enchaînant les erreurs et les fautes culturelles, elle finit en tant que « madogiwa » (coin de fenêtre », désigne un employé considéré inutile). C’est un roman cruel qui décrit une déchéance et un traumatisme profond. Les persécutions quotidiennes que la jeune femme subit ne lui font pas abandonner son honneur, valeur typiquement japonaise. Amélie s’y tient avec ferveur et refuse de démissionner. Elle s’y accroche jusqu’au bout même si cela la pousse au bord du gouffre. Le suicide, tragédie fréquente au Japon, la guette à chaque instant et elle perd doucement la raison.

 

« Stupeur et tremblements », nous explique l’auteure, c’est l’émoi qu’une personne doit ressentir en s’adressant à l’Empereur. Bien plus qu’une attitude révérencieuse, c’est un respect qui dépasse tout entendement, une soumission totale. C’est également l’attitude que l’auteure finit par adopter vis-à-vis de certains de ses supérieurs au travail.

 

Les éléments déviants dans la société japonaise sont ignorés et ostracisés, situation que peuvent rapidement subir les occidentaux omettant certaines règles de savoir-vivre japonais. Le désir d’atteindre la perfection, auquel aspire la société japonaise dans tous ses gestes, pousse les supérieurs d’Amélie à lui donner des tâches de plus en plus qu’ingrates. Le roman souligne également les inégalités liées au genre, surtout dans l’univers du travail. La femme ayant passé 25 – 30 ans se doit d’être mariée, pourtant on lui a enseigné depuis sa jeunesse à travailler dur. L’homme doit être dédié à son travail bien plus qu’à son foyer. La femme doit se plier en quatre pour satisfaire les critères de beauté et raffinement japonais, laissant de côté son individualité. Individualité, au Japon, rime souvent avec égoïsme.

 

Il était surprenant et agréable de reconnaître les tics et manières un peu particulières des japonais, à la lecture de ce livre. Leur langage formel et leur culture très codifiée ne laissent place qu’a des interprétations et des sous-entendus furtifs de leur véritable opinion. Le respect avant tout. La courtoisie est toujours de mise, dissimulant souvent une situation de gêne, de peur ou de mépris.

 

« Stupeur et tremblements », c’est le cauchemar d’une femme occidentale en entreprise au Japon. L’inverse est aussi vrai : combien de fois ai-je entendu parler de ces japonais en lune de miel complètement désenchantés par la Ville Lumière ?  « パリ症候群 » Le syndrome de Paris, on l’appelle.  L’image idéalisée de la France laisse place à la banale réalité d’une capitale qui évolue avec la société, et les conséquences de l’énorme fossé culturel entre français et japonais se font ressentir avec violence.

 

Le roman a été adapté au cinéma par Alain Corneau en 2003 ; et vaut le coup d’œil pour les curieux ou les allergiques à la littérature.