Petite sœur, mon amour, un titre rose et des patins à glace.

À première vue, je dirais que c’est plutôt le genre de bouquin que j’offrirai à ma grand-mère : ça m’a l’air mignon tout plein, léger et fleur bleue.

Sauf qu’une description pareille ne ressemble pas vraiment à Oates. L’écrivaine américaine est célèbre pour ses personnages à la psychologie complexe et torturée, son exploration de la violence et du trouble, son amour du roman noir.

 

Et effectivement, une fois feuilleté, Petite sœur, mon amour révèle toute sa densité. On se retrouve face à une histoire qui embrasse le cliché américain et s’en imprègne, sur fond de drame familial. Bliss, petite princesse de la glace, est adulée par le monde du patinage et par sa mère. Elle a aussi été assassinée. C’est son frère Skyler qui nous raconte les faits une dizaine d’années plus tard, alternant entre différentes lignes temporelles : sa vie d’adulte ici et maintenant, et puis avant.

 

 

 

L’ambiance se définit par le contexte : les Etats-Unis dans les années 90, dans une jolie petite famille américaine aux deux enfants parfaits. Le père pourvoit aux besoins de tous grâce à son boulot important ; la mère tente d’entrer dans les cercles restreints et renommés de la ville en se faisant des « amies » ; le petit Skyler regarde le sport avec son père et sait qu’il est le « petit homme » de sa mère. Quant à Bliss, elle n’est rien jusqu’à ses 4 ans, jusqu’au moment où elle commence à patiner. A partir de cet instant cependant, l’ensemble des personnages gravite autour de la petite fille, elle éclipse le reste de l’histoire, tous les regards se portent sur elle, se font de plus en plus indiscrets et pénétrants, jusqu’au drame.

 

 

On en oublierait presque Skyler, toujours présent au travers de sa narration. Celle-ci frôle parfois l’omniscience, puis retombe immédiatement dans un texte plus que subjectif, en passant par de franches adresses au lecteur, donnant un rythme tout particulier au récit et instaurant une intimité entre le lecteur et ce personnage-narrateur qui se décrit lui-même comme « psychotique ».

Ce traumatisme d’enfance qui a fait de Skyler un « survivant » a en effet de fortes répercussions sur l’adulte qu’il est devenu, et sur le récit qu’il livre.

 

 

 

La voix narrative est certainement très étudiée : n’est pas professeur en littérature à Princeston qui veut. Joyce Carol Oates fait de ce récit inspiré de faits réels une histoire prenante, où l’on n’est pas certains de faire confiance à Skyler, qui reste pour autant notre seul moyen de découvrir la vérité, si mystérieuse et évitée qu’elle en devient effrayante. Définitivement pas un livre pour ma grand-mère.

 

Tu ne vas pas me laisser dans cet endroit horrible, dis Skyler ?

 

My Sister, My Love : The Intimate Story of Skyler Rampike, Joyce Carol Oates, The Ontario Review, 2008